Le cigare est souvent associé au parrain de la mafia dans les films ou à l'homme d'affaires qui fête la conclusion d'un gros contrat. Ces dernières années, il avait perdu de sa superbe. Tout comme la pipe qui paraissait presque dépassée, collant à l'image du grand-père qui fumait en feuilletant son journal.
Aujourd'hui, le cigare et la pipe fêtent leur retour en force grâce à la génération Z (les personnes nées après 1995), qui s'est découvert une nouvelle passion. Au Royaume-Uni, selon des données collectées par l'University College of London et financée par l'ONG Cancer Research UK, 3% des personnes âgées de 18 ans fument exclusivement le cigare ou la pipe, contre 1% des plus de 65 ans.
Concernant les cigares, les spécialistes interrogés confirment que la Suisse n'échappe pas à cette tendance. Mais pourquoi un tel retour du cigare et de la pipe? «Les consommateurs se déplacent d’un objet à l’autre», déplore Grégoire Vittoz, directeur d'Addiction Suisse.
Les vapoteuses pourraient avoir motivé cette résurgence. Selon des experts contactés par watson, les cigarettiers provoqueraient à présent une défiance et la cigarette électronique inciterait à essayer d'autres produits, plus qualitatifs, haut de gamme.
«Le cigare est plus une récompense. La cigarette électronique, c’est pour passer le temps», cadre Yann Monbaron, à la tête de l’entreprise familiale Tabashop et expert dans le cigare depuis 15 ans. Il assure que «la clientèle qui fume le cigare s'est élargie», elle est à la recherche «de plus d'authenticité».
Elle vient plus souvent chercher un cigare pour fêter un événement. Comme nous l'explique l'expert, «l'univers du cigare a changé, il s'est modernisé et a surtout rajeuni».
Celui qui a voyagé dans le monde à la découverte du cigare concède que les prix peuvent parfois en refroidir plus d'un. Mais le cigare intéresse les jeunes par sa symbolique et dessine une autre approche: «C’est presque un moment de méditation, voire une petite thérapie quand on fume un cigare».
Perçus comme un dérivé, les cigarillos ont aussi la cote. Il suffit de se promener en ville pour constater que de plus en plus d'individus en fument. C'est une cigarette «plus virile», selon les revendeurs interrogés, qui semble faire un tabac auprès des femmes. Une gent féminine qui fume d'ailleurs aussi le cigare. «C’est plus discret, mais il y en a de plus en plus», précise Yann Monbaron.
Les femmes sont une cible privilégiée pour les vendeurs de cigares. Luciano Ruggia, directeur de l'association suisse de prévention contre le tabagisme (AT), nous explique qu'une «vague importante de publicité est centrée sur les femmes».
Et le jeune public est également une cible privilégiée. Selon Grégoire Vittoz, «l’industrie du tabac a toujours un coup d’avance, il est donc nécessaire de réguler l’ensemble des produits contenant de la nicotine de façon stricte.»
Dans le lot, il y a aussi la pipe qui occupe une place de choix chez les vendeurs de tabac. Un simple passage dans une enseigne permet de mesurer cette tendance grandissante. «La pipe est en pleine expansion. C’est une fumée qui n’est pas agressive et les arômes sont top, ce sont des additifs naturels», souligne Yann Monbaron. Selon Luciano Ruggia, «la pipe est plus marginale que les cigares et les cigarillos».
Avec tout ce barnum plébiscité par les amoureux de la tige, la fumée passive inquiète les spécialistes antitabac. En se grillant un cigare, le consommateur crapote sans inhaler la fumée. Mais la fumée passive, on ne peut pas aller contre, elle reste présente.
A la question de savoir si le cigare est plus dangereux que la cigarette électronique ou la cigarette dite classique: «C’est difficile de dresser une échelle de nocivité», répond Grégoire Vittoz. Mais la fumée passive reste un danger pour la santé. Selon la récente enquête d'Addiction Suisse, 11,8% des jeunes de 15 à 24 ans sont exposés au tabagisme passif.
Outre le tabagisme passif, le directeur d'Addiction Suisse se plaint de l’inventivité de l’industrie pour écouler leur marchandise. «Lorsqu'un marché se tarit, on tente de contourner la législation», souffle Grégoire Vittoz, avant d'enchaîner:
Le spécialiste pointe également l'omniprésence de la fumée dans les séries et les films. Il avance que dans la liste des films en lice lors des récents Oscars, «un seul un long-métrage ne comptait aucune publicité pour le tabac: Barbie».
Les séries Netflix, elles aussi, sont une manière de faire envie aux plus jeunes. Si vous regardez actuellement la série Netflix la plus visionnée du moment, Le problème à trois corps, vous y verrez de nombreux protagonistes torailler. Depuis 1964, la publicité pour le tabac dans les films et séries est strictement interdite en Suisse. Mais Netflix semble fermer les yeux. Forbes rapportait des informations en ce sens, en janvier 2022, alors que la plateforme s'était engagée, en 2019, à éliminer les représentations du tabac dans ses productions.
«On constate une augmentation constante des représentations du tabac dans les productions Netflix. Ce n’est pas un hasard que des personnes fument constamment à l'écran et cela incite les jeunes à fumer. Ils s’identifient à certains personnages», analyse Luciano Ruggia.
S'il déplore ce lobbying dans les hautes sphères politiques, tout comme le marketing agressif des vendeurs de tabac, il souligne «la pornographie cachée des publicités», que le cigare incarne, comme symbole phallique.
Dans son dernier rapport, Addiction Suisse tire la sonnette d'alarme. De plus en plus de jeunes fument en Suisse, les chiffres le prouvent, et la consommation de cigarettes chez les très jeunes gens, notamment chez les 13 ans, augmente. Cette nouvelle tendance du cigare et de la pipe en est un symptôme.