Il faut avouer que, sur le papier, c'est le casting le plus surprenant du mercato télévisuel de ce mois de septembre. Autant, l'arrivée tonitruante de notre Yann Marguet national à Quotidien semblait logique (l'ADN de son humour, mais aussi son talent), autant l'atterrissage de Ségolène Royal dans le magma brûlant de Touche pas à mon poste peut paraître incongru.
Non pas qu'elle manquerait de talent, d'intelligence ou de sens de l’humour. Pas forcément parce que c'est une ancienne ministre (Roselyne Bachelot a fait pire il y a bien longtemps). Pas uniquement parce qu'elle s'est récemment illustrée par des propos un brin complotistes sur la pandémie de Covid-19 ou la guerre contre l'Ukraine.
Mais plutôt parce que sa chronique détonne dans l'univers fait divero-clownesque de Touche pas à mon poste. Et puis, rappelez-vous, il y a quelques décennies, la socialiste partait en guerre, rose au fusil, contre ce qu'elle appelait la «télé-massacre». (Et les dessins-animés japonais, mais c'est une autre histoire.)
Aujourd'hui, cette grande femme de gauche fait donc irruption dans l'empire Bolloré. Ségolène Royal, qui tente un come-back politique en parallèle, est désormais chargée de jouer à la maîtresse d'école chez Cyril Hanouna. Pourquoi pas. Jeudi soir (enfin!), l'ex-femme de François Hollande a dégoupillé sa chronique baptisée «Ségolène explique». Un blase qui sonne comme un cours d'éducation civique, parachuté sans coup de semonce dans la plus controversée des émissions d’infotainment.
Quelques heures avant d'inaugurer sa nouvelle carrière sous les projecteurs de C8, la dernière pensionnaire s'est un peu emmêlé les pinceaux sur X. Dans un premier post quasi aussi long que sa prestation, l'ex-ministre de l'Environnement a dévoilé le thème de son baptême du feu: l'inceste. Si le sujet est éminemment grave, Madame Royal a malgré tout dû supprimer sa publication, le créneau horaire affiché n'étant pas le bon.
Le trac, sans doute.
Oh là, pas si vite! Cyril Hanouna n'aime «pas dire chronique». Sur le plateau, ils se mettront d'accord sur le mot «explication». Et ils auront raison. Juste avant une page de publicité, Cyril Hanouna a annoncé l'arrivée de la star de la politique disons... à sa manière: «Bon, molo les asticots, hein! Dans quelques minutes, Ségolène Royal s'explique».
Et elle expliquera. Longuement, lentement, rigoureusement. Sans musique, ni personne pour l'interrompre. A 18h40 19h40, Ségolène Royal, que le patron de TPMP décrivait comme étant «tout ce que j'aime», fait enfin son entrée sous les applaudissements. Tailleur bleu sur pull noir, postée sans tabouret derrière le pupitre principal de l'émission, elle jouera, pendant une grosse demi-douzaine de minutes, à la professeure particulière de Cyril Hanouna.
Manifestement envahie par la pression des débutants et le poids de son sujet du jour, Ségolène Royal a introduit sa propre chronique explication avec passablement d'hésitations.
"Il y a un silence effroyable sur cette criminalité !"@RoyalSegolene choisit le sujet de "l'inceste" pour sa première intervention dans #TPMP pic.twitter.com/MtYBj8CPOv
— TPMP (@TPMP) September 14, 2023
Puis vient le cœur du sujet. En cinq questions dégoupillées par le maître de cérémonie et aidée d'un tableau qui récapitule ses prises de parole, l'ex-ministre donnera des pistes de réflexion, des informations précises sur les réactions de l'enfant, sur les réflexes du parent agresseur, sur l'attitude à adopter quand un mineur en parle (ou n'en parle pas).
A une heure de si grande écoute, et dans l'une des dernières émissions de télévision qui n'est pas boudée par les jeunes, on ne peut que louer cette initiative imaginée par Ségolène Royal elle-même. Pour dire, on oublierait presque «les infos du jour» qui revenaient aujourd'hui sur ce couple qui fornique dans les toilettes et cette femme qui «allaite son mari». On pourrait presque pardonner la discussion sur le moustique tigre qui s'est rué sur le plateau dans la foulée.
Ségolène Royal, c'est oui, des sujets sérieux sur TPMP, c'est oui. Mais le tout, au milieu du cirque Pinder, c'est compliqué à digérer et, surtout, à valoriser. Cyril Hanouna aurait fin nez si, avant la chronique l'explication suivante, il revoyait la mise en scène de ce cours.
Baba a manifestement profité de son été pour entraîner sa crédibilité. Après avoir éjecté quelques amuseurs un peu bruyants, il a engagé et débauché plusieurs poids lourds médiatiques. De Yann Moix aux journalistes Jacques Cardose (Complément d'enquête) ou Pascale de La Tour du Pin (BFM TV), les pupitres de TPMP sont désormais beaucoup moins gâtés en frivolités. Ce qui n'empêche pas le puissant tôlier d'empoigner rigoureusement toutes les polémiques les plus inflammables du moment.
En accueillant la candidate à la présidentielle de 2007, une fois par semaine, Hanouna se glisse dans son plan de communication qui peine à faire ses preuves. Depuis quelques semaines, Ségolène Royal orchestre son grand retour en politique, comme elle tente souvent de le faire: en alignant les effets de surprise.
Après avoir annoncé avec fracas, fin août, vouloir se placer en tête d'une liste baptisée «Union des gauches» en vue des élections européennes, elle avait reçu le soutien personnel de Jean-Luc Mélenchon, mais le refus sec de La France Insoumise. Interrogé par Le Parisien mercredi, un cadre du parti affirmait que «le but avec Royal, c’était de foutre le bordel et ça a été foutu… y compris chez nous».
Sur un plateau survolté comme celui de Touche pas à mon poste, peut-être que «foutre le bordel» consiste simplement à proposer un format sérieux, balisé et (très) scolaire.
Pour l'instant?