Il n'y a que cinq mois entre aujourd'hui et le 21 septembre 2023. Et pourtant, l'évolution du Servette FC nous donne l'impression que plusieurs saisons se sont écoulées entre ces deux périodes. On n'a pas choisi ce 21 septembre dernier pour célébrer le 68e anniversaire de l'acteur François Cluzet, star du film Intouchables, ni les 32 ans de l'indépendance de l'Arménie. Non, ce soir-là, les Genevois s'inclinaient logiquement, chez eux, face au Slavia Prague (0-2) lors de leur premier match de poules d'Europa League.
Impuissants, les Grenat subissaient la loi de Tchèques mieux organisés et davantage inspirés. Surtout, ils concédaient une troisième défaite de suite, en incluant le championnat, et enchaînaient un sixième match consécutif sans victoire. Un bilan inacceptable pour un vice-champion en titre. Pire, après cette première déconvenue européenne, l'entraîneur René Weiler – assumant la délicate tâche de succéder à Alain Geiger – et son système de jeu très vertical étaient dézingués sur les plateaux TV et les réseaux sociaux.
On reprochait au Zurichois son inflexibilité tactique en étant incapable de s'adapter à un effectif bien plus taillé pour la possession de balle et une construction soignée que pour un rustique kick and rush. Une nouvelle défaite trois jours plus tard à Lucerne n'arrangeait rien à cette situation préoccupante.
Mais les dirigeants ont eu la sagesse de maintenir Weiler dans ses fonctions et le vent a tourné. Et pas qu'un peu! Servette a aligné 15 matchs sans défaite en Super League (dont 10 victoires), tout en fêtant des qualifications pour les quarts de finale de la Coupe et les 8es de la Conference League. Une série qui a pris fin le 11 février à Yverdon (1-2). Grâce à cette folle remontada, les Grenat se sont donné le droit d'être à nouveau, comme la saison passée, le principal contradicteur de Young Boys.
Et au vu de la tournure de ce match, on est en droit de l'affirmer: Servette a tout pour détrôner YB et fêter un 18e sacre national ce printemps, le premier depuis 25 ans. Sur le synthétique du Wankdorf, les protégés de René Weiler ont fêté une victoire mille fois méritée. De la première à la dernière minute, ils ont été souverains. C'est simple: on a rarement vu une équipe du championnat suisse maîtriser aussi bien son sujet, d'autant plus dans un choc au sommet.
Tous les Genevois, sans exception et les remplaçants y compris, ont été à la hauteur. Techniquement, physiquement, tactiquement et mentalement. Sur ce dernier point, la nouvelle recrue japonaise Takuma Nishimura donnait le ton: dès la 7e minute, l'attaquant prenait un carton jaune pour des réclamations trop véhémentes auprès de l'arbitre, Fedayi San.
Par la suite, le Nippon – seul averti côté servettien – et ses coéquipiers ont parfaitement canalisé leur énergie pour remporter un nombre impressionnant de duels et neutraliser les Itten, Elia ou autre Ganvoula.
Associée à une détermination de tous les instants et une capacité de se projeter rapidement, la qualité balle au pied des Cognat, Kutesa – que le sélectionneur Murat Yakin serait inspiré d'observer de très près en vue de l'Euro–, Antunes et Stevanovic a fait très mal aux Bernois, qui n'ont pu que regretter les trop nombreux espaces laissés aux artistes grenat. Le meilleur exemple restera le but de la 42e d'Alexis Antunes (servi par Timothé Cognat), venu ponctuer une contre-attaque éclair.
Alors c'est vrai, Servette a une fin de saison très chargée entre le championnat, la Coupe et la Conference League. Un calendrier plus dense que celui d'YB, éliminé de l'Europa League la semaine passée. Et le banc des Grenat n'est de loin pas suffisamment étoffé pour affirmer qu'ils passeront toutes ces échéances sans encombre.
Dans les trains, les gares ou aux abords des stades, on croise des familles avec des écharpes ou maillots grenat. Les footeux du bout du lac profitent aussi de l'émulation sportive dans leur ville après les titres de champion de Suisse et d'Europe des hockeyeurs. Une belle source d'inspiration.
Non, Servette ne doit pas vendre la peau de l'ours bernois avant de l'avoir tué. Mais avec seulement quatre points de retard (il reste 13 journées) et une qualité de jeu comme celle présentée au Wankdorf, tous les rêves sont permis. Encore plus si Young Boys, qui a laissé filer Nsame et Garcia cet hiver, continue d'être aussi peu inspiré que dimanche.