53e minute du match entre l'AS Rome et la Sampdoria: le peuple romain braille «zingaro, zingaro». En français: le gitan. L'hommage est adressé à Dejan Stankovic, entraîneur de la Samp'. Lui dit qu'il s'en fout, qu'il est fier de ses racines tziganes, que les chiens peuvent bien aboyer devant sa caravane, ce n'est pas grave - mais ce n'est pas le sujet.
José Mourinho, lui, le sait très bien. Il ne fait pas semblant de ne pas comprendre et de ne rien y entendre. Une main dans la poche, l'autre dressée face aux chants, «le Special One» fait taire ses propres supporters. Il insiste: son bras reste levé aussi longtemps qu'il n'obtient pas le silence. La main grande ouverte dit stop, frêle rempart contre un torrent de haine. Et le son baisse... Et les chants cessent. Mourinho lève le pouce pour dire merci et c'est fini.
En tout, une dizaine de secondes ont suffi. Et une question vient immédiatement à l'esprit:
Peu importe que l’entraîneur de la Sampdoria, Dejan Stankovic, soit un ami personnel du Portugais. Peu importe que le surnom dont les chants l'affublent, «zingaro», sonne à ses oreilles comme une antienne. Mourinho l'a dit lui-même et rien n'empêche de le croire: «Je l’ai fait pour un grand homme, un ami, je le ferais pour un homme. »
Mais du coup, que font les autres? Quand des primates à torse poils grimpent aux grillages pour offrir leurs bananes à un joueur adverse, pourquoi un Mourinho local n'intervient-il pas auprès d'eux, les fanatiques, ceux que tout le monde appelle dévotement «nos incroyables supporters», pour les ramener à la décence? Eventuellement rappeler à leur benêt attention qu'il y a des joueurs de couleur jusque dans leur propre équipe (au cas où ils ne l'auraient pas remarqué) et qu'avec leurs bananes, c'est aussi eux qu'ils touchent, blessent, offensent?
Souvent, la lutte contre le racisme consiste à poser un genou à terre, agiter une banderole en l'air. Les serments d'allégeance n'engagent que ceux qui s'y prêtent. Attaquant de Crystal Palace, Wilfried Zaha a fini par ne plus s'agenouiller avec les primates qui, une fois retombés sur leurs pattes, le traitent de sale nègre. Zaha estimait que le mouvement était devenu mécanique, vidé de sa portée symbolique, qu'il s'est inséré «dans le protocole d’avant-match» comme la poignée de main à l'arbitre et l'étirement des ischio-jambiers. L'Ivoirien tentait d'attirer l'attention sur «tout le reste», les insultes continues sur le terrain et les réseaux sociaux - mais là où le persécuté montre la lune, l'indigné regarde le doigt.
Depuis dimanche, en théorie, la donne a changé. Si José Mourinho a pu stopper un mouvement de foule d'une seule main, et quand bien même tous les footballeurs n'ont pas sa force de persuasion, d'autres le peuvent. Le sport tient une preuve concrète que la responsabilité individuelle, plus encore l'initiative personnelle ont le pouvoir de s'opposer à des instincts grégaires. Au moins d'essayer.
Si Mario Balotelli est insulté par des ultras du FC Saint-Gall (au hasard), une partie de la solution est entre les mains de l'entraîneur Peter Zeidler, de son capitaine, ou de quelque autre joueur emblématique. Une main bienveillante mais ferme.
Certes, personne ne nie que ce soit difficile ou courageux, mais une indignation, si elle est grande, ne demande qu'à s'exprimer. C'est là le côté fragile et médiocre de la solidarité bon marché: il y a face au racisme, dans la retenue des adversaires compatissants, le même type de peur que chez ceux qui refusent de célébrer un but contre leur(s) ancienne(s) équipe(s). La peur de froisser les supporters. Hantise d'endurer les quolibets. Un réflexe narcissique et autoprotecteur face aux affres de la réaction collective, comme le résume parfaitement ce tweet de notre confrère du Temps:
Ne pas célébrer un but contre une ancienne équipe, c'est privilégier la peur individuelle de la réaction à la joie collective et spontanée du but. C'est manquer de respect aux efforts de ses partenaires et au sens profond de la compétitionhttps://t.co/UbieIGXONv par @letemps
— Laurent Favre (@LaurentFavre) April 2, 2023
Pour autant, les supporters de l'AS Rome ne semblent pas prendre ombrage que José Mourinho ait levé la main sur eux. Depuis qu'il exerce en Italie, d'ailleurs, «le Special One» ne soigne pas beaucoup sa popularité. Et c'est peut-être pour cette raison qu'elle résiste à tout.