Marlen Reusser s'est prononcée en faveur d'un indice corporel minimum (IMC). Un avis motivé par le cas de la jeune Danoise Pernille Mathiessen, retirée du cyclisme en raison de «problèmes de santé mentale et d'un trouble de l'alimentation».
Cette course aux kilos superflus, au poids de forme idéal pour performer sur les pentes les plus raides, est un fléau chez les femmes. Marlen Reusser s'était exprimée sur le blog d'une compagnie d'assurance: «Il est inacceptable que des athlètes anorexiques servent de modèles.» Son plaidoyer a mis du temps à arriver aux oreilles de David Lappartient, grand boss de l'Union cycliste internationale (UCI).
Le cas de Sven Hannawald, en saut à ski, a mis en lumière une aberration du sport moderne: avec son 1,84 m pour 56 kg, l'Allemand était envoyé à l'hôpital avant même les compétitions, à l'initiative de son entraîneur, pour se retaper. L'élégant sauteur, auteur du quadruplé à la Tournée des Quatre Tremplins, le premier à réussir une telle prouesse, a aussi été le premier à avouer son impuissance face à l'anorexie - assortie d'un burn-out. D'autres lui ont emboîté le pas, comme Frank Loeffler.
Le saut à ski semble s'être débarrassé du problème grâce à une réglementation comme Marlen Reusser souhaite l'introduire dans le cyclisme. Les problèmes de Ville Kante, devenu insomniaque et dépressif à force de s'alléger, ont sûrement contribué à convaincre la Fédération internationale de ski (FIS). Outre les atteintes à la santé, Marlen Reusser demande de ne pas «glamouriser» des femmes frôlant l'anorexie.
L'ancien profesionnel Steve Morabito en a vu des silhouettes amaigries entre 2006 et 2019. «Il y a des gars très, très maigres, mais c'est délicat de fixer une limite et d'imposer des contrôles. Il y a des coureurs qui sont naturellement élancés.»
Des paroles qui rappellent le visage efflanqué de Romain Bardet. Des suiveurs expliquaient son déclin par une extrême maigreur qui l'empêchait de développer les watts nécessaires. Chris Froome avait aussi soulevé une multitude de questions sur son allure squelettique. «Il est tellement mince qu'on pourrait le faxer», avait ironisé un concurrent.
Ces dernières années, les coureurs ont privilégié la masse maigre, celle qui est musculaire, à la masse grasse, qui est l'énergie, dont un cycliste n'a pas forcément besoin pour de longs efforts. Les réserves d'énergie sont de toute façon siphonnées très vite, si bien que des sucreries sont parfois nécessaires pour les recharger. Peter Sagan, par exemple, ingurgite des bonbons juste après l'effort pour refaire au plus vite son stock d’hydrate de carbone et de sucre.
Clément Chevrier, anorexique, avait brisé un tabou alors qu'il frappait à la porte du monde professionnel. «Je n’avais pas envie de manger des pâtisseries. Je prenais du plaisir à manger de l’air, de la salade», expliquait-il en 2019. Résultat: 50 kg pour 1,78 m. Chevrier a trouvé son salut et un peu de poids en changeant d'air, avec un aller simple pour les Etats-Unis.
Le cycliste français, désormais retraité, l'a décrit dans le livre Equipiers de Grégory Nicolas, dont Romain Bardet a rédigé la préface: «Les coureurs connaissent tous leur poids de forme, la ration de masse grasse qu'ils doivent avoir au départ de certaines courses.» Il est d'une importance fondamentale, pour le rapport poids/puissance, d'embarquer un poids le plus efficace possible sur la selle.
Ce culte de la maigreur pour voler dans les cols en fait réfléchir plus d'un. Reste que les suiveurs sont rares à crier au loup. Le sujet reste un tabou.
La FIS a sévi pour le saut à ski. Mais du côté de l'UCI, une zone grise persiste et aucun règlement n'a été arrêté. Steve Morabito a sa petite idée pour y remédier:
Toujours est-il que chez les cyclistes masculins, personne n'évoque trop le sujet. Du côté des femmes, c'est une question qui revient souvent. Mais cette tendance n'est pas propre au cyclisme, elle est récurrente dans les sports d'endurance, homme et femme confondus.