Le football développe lentement mais sûrement une prise de conscience concernant l'abus d'analgésiques, tant chez les professionnels que chez les amateurs. Dans le football américain, sport sacro-saint au pays de la démesure, ce problème est connu depuis un certain temps déjà, mais il est rarement dénoncé en tant que tel.
Un documentaire (fascinant) sur la regrettée star des New England Patriots, Aaron Hernandez, a défrayé la chronique sur Netflix. Outre ses frasques et ses démêlés avec la justice, le joueur jouait régulièrement blessé, avec des lésions physiques et cérébrales évidentes. Mais les médecins le gavaient d'anti-douleurs pour qu'il puisse jouer coûte que coûte.
Hernandez est un joueur parmi tant d'autres, broyé par un sport qui tue doucement. De nombreux professionnels terminent en mille morceaux. Les observateurs et médecins ont tiré la sonnette d'alarme à maintes reprises déjà, mais les us et coutumes persistent. Depuis le début des années 2000, le problème des commotions cérébrales a pris de plus en plus d'ampleur chez les durs à cuire. Mais dans une ligue qui brasse des millions, voire des milliards, le spectacle doit absolument continuer. Par conséquent, les médecins d'équipe maintiennent leurs poulains sur pattes et les bourrent de médicaments. Aaron Hernandez, par exemple, avalait des wagons de Toradol, comme bon nombre de ses collègues, un médicament couramment utilisé par les athlètes pour masquer les blessures.
Tout récemment, Byron Jones, 30 ans, a lancé un appel sur Twitter et s'est adressé à tous ses collègues de la NFL.
Le tout accompagné d'un mème le représentant, sur lequel il saute à l'arrêt par-dessus deux voitures, rappelant le record de saut en longueur qu'il détient et avait établi lors du NFL Combine 2015. «Beaucoup de choses ont changé pour moi en huit ans», témoigne Jones. «Aujourd'hui, je ne peux ni courir ni sauter à cause des blessures que j'ai subies en pratiquant ce sport», concède le cornerback le mieux rémunéré de la ligue - un contrat de cinq ans pour un montant de 82 millions de dollars en faveur des Dolphins.
Much has changed in 8 years. Today I can’t run or jump because of my injuries sustained playing this game. DO NOT take the pills they give you. DO NOT take the injections they give you. If you absolutely must, consult an outside doctor to learn the long-term implications. https://t.co/g5TTHDQGSY
— Byron Jones (@TheByronJones) February 25, 2023
Dans la foulée de son post, la star des Miami Dolphins a reçu de nombreux messages sur Twitter. Parallèlement, de nombreux joueurs et journalistes sportifs ont salué la prise de position. Jones n'a (bien sûr) pas révélé quels médicaments avaient pu causer de tels dommages. Jones avait d'ailleurs dû faire une croix sur l'ensemble de la saison 2022 après une opération au tendon d'Achille.
Surtout, ses messages inspirent des rumeurs sur une possible retraite avec effet immédiat. Jones a d'ailleurs tweeté ceci:
Selon ESPN, Jones n'a pas l'intention de raccrocher les crampons. S'il décide de se retirer maintenant, il devra rembourser une partie de la prime de signature qu'il a reçue des Dolphins, ce qui représente une somme de près de 4,2 millions de dollars. Et si la franchise floridienne rayait Jone de son alignement après le 1er juin, elle gagnerait plus de treize millions de dollars sur le salary cap.
De son propre aveu, Jones n'arrive plus à courir, ni à sauter, et les chances de le voir rejouer s'amenuisent. Ses prises régulières de médicaments et autres injections ont des conséquences tardives. L'abus de médicaments entraîne des lésions du foie et des reins, ainsi qu'une forte dépendance - en particulier aux Etats-Unis, un pays où la vague des opioïdes a créé de terribles dommages durant des décennies. Mais la prédisposition aux lésions tendineuses est souvent mentionnée comme effet secondaire possible dans la notice de différents produits utilisés en NFL.
Un (autre) fléau plane comme une ombre sur la NFL: l’encéphalopathie traumatique chronique (CTE). Le CTE est une maladie neurodégénérative qui entraîne un déficit fonctionnel sur le long terme. De nombreux joueurs se plaignent d'anxiété et de dépression chroniques; des sautes d'humeur récurrentes et d'envies d'isolement.
Dernier cas en date, l'ancien wide receiver Demaryius Thomas s'est éteint en décembre 2021 à l'âge de 33 ans. Selon des chercheurs de l'université de Boston, Thomas intègre une liste de plus de 300 anciens joueurs de la NFL atteints du CTE.
Un décès qui a une nouvelle fois fragilisé le sport roi de l'Oncle Sam. Les voix se font de plus en plus fortes et les critiques de plus en plus incisives. Grand défenseur des joueurs pros, Chris Nowinski, lui-même ancien footballeur américain et catcheur, devenu neuroscientifique, a fondé la banque du cerveau de l’université de Boston. Il explique que le décès tragique de Thomas doit être «un signal d'alarme pour les joueurs actuels et anciens de la NFL de haut niveau que la CTE sévit parmi eux, et qu'ils doivent s'impliquer dans la création de vraies solutions». Mais sera-t-il entendu?