Les premiers signaux d'alarme sont venus du cyclisme. Des données scientifiques ont révélé il y a quelques années qu'un nombre sérieux de coureurs prenaient régulièrement du tramadol, un analgésique, avant les courses. Mais l'Union cycliste internationale (UCI) a interdit cette substance dans ses compétitions à partir de 2019. Les raisons? Les conséquences d'éventuels effets secondaires, comme par exemple une baisse de l'attention aux situations de course, et le risque de dépendance à cet opioïde.
Autrement dit, la raison officielle de l'interdiction était la protection de la santé des coureurs. Et les sanctions pour les contrevenants ont été volontairement réduites: au lieu de suspensions, l'UCI a opté pour des avertissements et des disqualifications. Le plus célèbre cycliste pincé avec du tramadol reste jusqu'à maintenant le Colombien Nairo Quintana, disqualifié après coup du Tour de France 2022.
L'Agence mondiale antidopage (AMA) a certes placé cet analgésique – délivré sur ordonnance en Suisse et pris sous forme de capsules – sur sa liste d'observation, mais elle a eu du mal à l'interdire jusqu'à l'année dernière. En effet, les études scientifiques n'arrivaient pas à prouver une amélioration claire des performances grâce au tramadol. Or, seules les substances qui remplissent deux des trois critères suivants doivent être interdites dans le sport: elles vont à l'encontre de l'esprit du sport, elles mettent en danger la santé des sportifs et elles augmentent les performances.
Mais il y a un an, le vent a tourné. Une nouvelle étude britannique a révélé une augmentation potentielle des performances de 1,3% dans des conditions de laboratoire. A côté de ça, de plus en plus d'informations sont sorties sur l'utilisation largement répandue du tramadol dans le football professionnel. L'AMA n'a pas interdit le médicament avec effet immédiat mais avec un délai de pré-alerte de plus d'un an.
Le tramadol est un analgésique très répandu (et donc banal), ce qui le distingue de nombreux autres médicaments dont les sportifs abusent. Ceux-ci sont utilisés dans des cas très spécifiques pour le traitement de maladies graves.
Jusqu'à présent, le tramadol se trouvait également dans de nombreuses trousses de secours de médecins du sport. C'est pourquoi Ernst König, directeur de Swiss Sport Integrity (l'organisme suisse de la lutte antidopage), salue le délai de préalerte d'un an. Il explique que son organisation a profité de cette période pour faire un travail d'information auprès des athlètes, mais aussi et surtout auprès des médecins du sport. Il existe par ailleurs suffisamment d'alternatives au tramadol autorisées pour le traitement de la douleur.
Le tramadol est la première nouvelle substance depuis de nombreuses années à être ajoutée à la liste des interdictions de l'AMA dans le domaine des «narcotiques». Cette catégorie en particulier ne semble pas avoir été mise à jour.
L'AMA a toutefois créé la catégorie «substances d’abus» en janvier 2021. Elle regroupe des produits comme l'héroïne, la cocaïne, l'ecstasy ou le cannabis.
C'est pourquoi les peines encourues en cas de consommation ont été massivement réduites: les sportifs qui se soumettent volontairement à une thérapie de désintoxication ne sont plus suspendus que pour un mois.
Mais il existe toujours, dans la catégorie des «narcotiques», d'autres médicaments dont l'amélioration des performances est controversée et qui sont beaucoup plus perçus par la société comme des drogues que comme des produits dopants. La morphine, la méthadone ou le fentanyl en sont des exemples.
Adaptation en français: Yoann Graber