Urs Fischer, on m'a prévenu: il y a certains sujets délicats qu'il ne faut pas aborder avec vous.
URS FISCHER: Je suis curieux de savoir lesquels.
Si l'Union Berlin se qualifie pour la Ligue des champions...
(Eclat de rire)
Christopher Trimmel, votre capitaine, est tatoueur à côté du foot. Quel tatouage pourrait-il vous faire si l'Union disputait la Ligue des champions la saison prochaine?
Un tatouage? Vous pouvez être sûr d'une chose: pas à mon âge! Non, non, non. Un tatouage ne serait pas mis en valeur sur un corps de 57 ans. Et il ne serait pas convenable non plus. Mais je reconnais que vous avez bien amené ce sujet délicat... Je maintiens que beaucoup de choses sont encore possibles. Voyons ce qu'il en ressort au final. Je crois que viser l'Europe est déjà un objectif réaliste pour nous.
Mais?
Pas de mais! Vous ne devez pas oublier qui nous sommes et d'où nous venons. Nous allons accéder pour la troisième fois à une compétition européenne, alors que nous évoluons en Bundesliga depuis quatre années seulement. C'est de la folie! De la folie pure et simple! Ce que je dis n'a rien à voir avec un manque d'ambition. Au final, tout le monde veut un maximum de succès, moi compris. Mais il n'y a aucun mal à garder une certaine modestie et à ne pas parler de la Ligue des champions. Sans vouloir nous faire plus petits que nous ne le sommes.
Récemment, il y a eu un test sonore au stade An der Alten Försterei. C'est justement l'hymne de la Ligue des champions qui est sorti des hauts-parleurs. Une coïncidence malheureuse?
C'était plus que malheureux. Cet épisode m'a contrarié, d'autant qu'il y avait environ 300 personnes à l'entraînement. Les médias étaient présents également. Et puis tout à coup, il y a cet hymne. Je ne l'ai pas choisi. Mais c'est arrivé. J'ai donc dû répondre à quelques questions sur le sujet.
Y a-t-il des matins où vous vous réveillez, où vous regardez le classement de la Bundesliga et vous vous dites: «Est-ce bien réel? Ce doit être un rêve!»
Je ne suis pas un rêveur. Je suis bien trop dépendant de la réalité. Naturellement, nous nous sommes déjà demandé où nos résultats pourraient nous mener. Mais nous sommes tellement occupés qu'il ne nous reste pas de temps pour penser plus loin - et c'est bien ainsi.
Vraiment?
Oui. Si l'on a brusquement trop de temps pour réfléchir, pour savourer nos succès extraordinaires, les plus grandes erreurs peuvent se produire!
Quelle est la base de ce succès?
Pffff... difficile! Laissez-moi quelques mois pour réfléchir.
En d'autres termes: la méthode Urs Fischer existe-t-elle?
Non, je ne pense pas. Pour moi, l'une des choses les plus importantes est de rester authentique. Si ce n'est pas le cas, tu te brimes. Et si tu es toi-même, vis-à-vis de l'extérieur, tu as l'air... Comment dit-on?
Plus crédible?
Exactement.
Qu'entendez-vous par authenticité? La sincérité? Un langage direct avec les joueurs?
Oui! Ne jamais jouer un rôle. Par exemple, je ne joue pas le rôle du méchant. Je peux devenir piquant une fois ou l'autre mais uniquement parce que j'en ai envie, parce que j'ai la conviction que c'est le moment. Sans réfléchir longtemps. Sans peser le pour et le contre. Peut-être que parfois, c'est mal; mais au moins c'est sincère.
Après la montée de l'Union Berlin en Bundesliga, un journaliste a suivi l'équipe pendant toute une année et a écrit un livre sur son épopée. Il apparaît clairement que vous laissez le vestiaire aux joueurs. Quand vous y entrez, vous vous annoncez. Quelle est le raisonnement derrière ce principe?
J'ai moi aussi passé vingt ans dans les vestiaires en tant que joueur. Nous étions assez contrôlés, je dois le dire. Le vestiaire appartient aux gars. Ils n'ont pas besoin d'un policier. Ils sont autonomes. Pour moi, c'est la bonne façon de traiter les gens. La façon d'établir un rapport de confiance. Plus généralement, les joueurs doivent décider eux-mêmes des mesures disciplinaires. Ce qui est autorisé. Ce qui ne l'est pas. Comment sont fixées les amendes. Ils doivent régler tout cexi entre eux. J'en ai connaissance, mais c'est l'équipe elle-même qui a élaboré les règlements.
Mais vous posez un cadre, non?
Bien sûr. Quand nous avons une séance ou un rendez-vous, je suis intransigeant sur l'heure. Pour moi, la ponctualité est extrêmement importante. L'équipe le sait. Idem pour l'utilisation des téléphones portables. Quand on arrive dans le vestiaire, à un moment donné, on range son «tél». Idem lorsque l'on prend le repas de midi ensemble. Il s'agit aussi de communication.
Etes-vous volontiers de la vieille école sur ces sujets?
Non, non. Je ne dis pas qu'un téléphone portable n'est pas autorisé si un joueur attend un enfant ou s'il a des contingences familiales importantes. Il doit y avoir une marge de manœuvre pour l'utilisation du portable et une compréhension plus générale de sa place dans la société. La jeune génération n'en a pas le même usage que la mienne qui a commencé avec les gros Natel D, Natel C, etc. Le portable, aujourd'hui, prend de l'espace et de l'importance. Il faut essayer de trouver un équilibre.
Lorsque vous êtes arrivé à Berlin il y a bientôt cinq ans, vous étiez un peu en difficulté avec le bon allemand, voire intimidé. Est-ce toujours le cas?
Cela s'est atténué. J'ai aussi appris à m'en servir. Mais c'est vrai que le niveau de rhétorique en Allemagne est assez bon. J'ai parfois l'impression que chaque mot a un impact.
Oui, et puis, aussi stupide que cela puisse paraître, on croit toujours qu'il faut changer ses éléments de langage pour pouvoir rivaliser. Mais ça ne marchera pas!
Vous avez mis du temps à l'accepter?
Je reçois aussi des réactions de mon entourage. Assez rapidement, on m'a signalé que je disais très souvent «finalement». J'ai donc commencé à y faire attention, jusqu'à ce que les gens à Berlin se demandent: où est donc passé le «Schlussendlich» (réd: finalement)? C'est à ce moment-là que je me suis dit: «Hey, essaie d'être toi-même ici aussi. Et ne joue pas de rôle car de toute façon, tu n'y arriveras pas.» Je pense malgré tout que mon allemand standard s'est amélioré. Entre-temps, j'ai compris aussi que je ne devais pas parler de «Besammlung», «speditiv arbeiten», «Auslegeordnung» ou «Pendenzen». Personne ne connaît ces expressions.
Que représente Berlin pour vous? La ville est-elle davantage qu'un lieu de travail?
Elle est mon centre d'intérêt et fait naturellement partie de moi. Mais je dois dire aussi que de nombreuses activités se limitent au travail. Je ne suis pas là pour connaître la ville le mieux possible. Souvent, je ne fais pas grand-chose d'autre que les trajets entre l'appartement, le stade et l'aéroport. Mais il est clair que Berlin a une dimension incroyable pour les Suisses. Il y a une histoire derrière tout ça. Au niveau culinaire, c'est de la folie, il y en a pour tous les goûts. En matière de divertissement, la ville a également une offre exceptionnelle.
Combien de fois rendez-vous visite à votre famille au cours d'une saison?
C'est difficile à dire. Nous avons des périodes où c'est possible toutes les deux à trois semaines. Puis il y en a eu d'autres où je ne vois plus ma famille pendant sept ou huit semaines. C'est variable. Il arrive aussi que la famille vienne à Berlin, passe quelques jours ici, puis reparte.
Est-ce que le fait de ne pas être toujours collés l'un à l'autre peut aussi être positif dans un couple?
Quand on se rencontre, il y a une toute autre dynamique, une toute autre intensité. Et c'est vrai que plus on vit l'un sur l'autre, plus il y a de risque d'une certaine... Comment dire? Usure. Malgré tout, la famille me manque. C'est évident. Mais nous nous sommes accommodés à la situation.
Lorsqu'un entraîneur comme Edin Terzic, au Borussia Dortmund, déclare après une défaite contre l'Union Berlin: «Tout le monde sait ce qu'ils font et personne ne peut les en empêcher!», est-ce une forme d'adoubement?
Je veux faire en sorte que ça continue comme ça. C'est ce que je vous disais avant: quand on a l'impression que le succès est acquis, c'est le plus grand danger. Il faut être éveillé quand ça marche. Dans un deuxième temps, il faut provoquer des changements, sans exagérer bien sûr. Et il faut peut-être un peu plus de pragmatisme quand ça ne va pas. Ne pas tomber dans la sur-réaction et tout chambouler chaque 15 jours.
Avez-vous déjà vécu une telle situation à l'Union Berlin?
En deuxième division, nous avons traversé une période où nous n'avons pas gagné pendant cinq ou six matches. La situation est devenue un peu critique.
Et ensuite?
Nous ne nous sommes pas affolé, car la situation aurait pu plus mal tourner encore. Il faut supporter ces mauvaises passes de temps en temps. Ce serait bien si nous pouvions toujours progresser et aller de l'avant. Mais ce n'est tout simplement pas possible! Et je pense qu'un jour ou l'autre, cette mauvaise passe se reproduira aussi à l'Union. Désolé de me répéter mais c'est vraiment de la folie ce que nous vivons.
Comment Urs Fischer fonctionnerait-il en cas de crise?
Nous devons d'abord la vivre, ensuite nous verrons. Mais croyez-moi, je ferai tout pour que cela n'arrive pas (rires).
Ce qui m'amène à la question suivante: comment imaginez-vous la suite? L'idée de vous voir sur la liste d'un club plus important... Vous commencez déjà à rire!
Que puis-je répondre à ces spéculations? Déjà, quand j'étais à Zurich, on disait: "Il ne sait jouer qu'au FCZ! Il n'ira pas plus loin". A Bâle, on ne me croyait pas capable de percer dans ce milieu. Durant toute ma carrière d'entraîneur, j'ai connu une certaine évolution. Je suis tombé. Ça m'a fait mal. J'ai dû me relever. Et j'ai appris partout. Pourquoi devrais-je me soucier des questions sur la suite?
Mais si une offre venait de plus haut?
C'est tout à fait possible. Et si c'était une nouvelle étape dans ma carrière, il faudrait que l'on m'accorde... Comment dire? Un changement de statut? Mais de telles pensées ne trottent pas dans ma tête. Je veux faire du bon travail là où je suis. C'était déjà le cas à Zurich. C'était le cas à Thoune. C'était le cas à Bâle. Et c'est le cas maintenant à l'Union. Je n'ai pas de plan de carrière qui stipulerait: dans trois ans, j'entraînerai en Premier League. Ce n'est pas dans ma «to do list». Sur ma liste de choses à faire, il y a l'entraînement de demain (rires). Oui, c'est comme ça.