La Coupe du monde 2022 est très différente de celle de 2010. Niveau football, c'est certain: l'Espagne avait cartonné en Afrique du Sud alors qu'elle s'est ratatinée en 8e de finale au Qatar. Ou encore la Nati qui, jadis, évitait de prendre des taules 6-1. Mais ce qui a aussi changé, ce sont les vêtements des sélectionneurs.
En 2010, ils étaient 18 sur 32 participants à coacher en costard cravate (dont Ottmar Hitzfeld, alors à la tête de l'équipe de Suisse). Soit 56%. En 2022, cette proportion a drastiquement chuté: seuls sept sélectionneurs (sur 32) ont porté le complet cravate au Qatar. Ils représentent 22%.
Etant donné leur nombre, on peut s'offrir le luxe de les citer:
Autre constat intéressant: en 2010, la majorité des sélectionneurs qui ne portait pas de costard cravate arborait un training (huit). Seuls six avaient opté pour des costumes sans cravates, des polos ou des chemises seules.
Or cette année, c'est cette catégorie que l'on pourrait qualifier de «smart casual» qui domine largement la scène (60%, contre 19% en 2010). On peut citer le Suisse Murat Yakin, l'Allemand Hansi Flick ou encore le Français Didier Deschamps.
Cette métamorphose des sélectionneurs sur leur banc ces douze dernières années s'insère dans un contexte social plus large, au-delà du sport. C'est ce que constate Suzana Pimenta, styliste et conseillère en image à Lausanne et directrice de l'entreprise qui porte son nom:
En observant l'âge variable des sélectionneurs à cravate lors de ce Mondial, ce choix vestimentaire ne semble pas être une question de génération. Suzana Pimenta y voit plutôt une explication culturelle: «Dans certains pays, comme le Portugal par exemple, le costume a valeur d'uniforme, il est un habit qu'on sort pour les grands événements, quand les choses deviennent sérieuses.»
Et diriger une équipe nationale en Coupe du monde en fait partie. Ses membres sont de véritables ambassadeurs du pays, et le sélectionneur, filmé à maintes reprises pendant le match, est en première ligne. D'où la nécessité de dégager une image adéquate, positive et si possible élégante.
«Des études ont prouvé que notre comportement varie en fonction des vêtements que l'on porte», précise l'experte. On imagine facilement que porter un costume – et la symbolique qui va avec – a de quoi donner un sentiment de crédibilité et de pouvoir à son propriétaire. Soit deux dimensions cruciales pour être le leader d'un groupe, ce qui est justement demandé à un entraîneur.
Mais attention, adopter un habillement de prestige peut être à double tranchant. «Il faut absolument éviter le sentiment d'imposture», met en garde Suzana Pimenta.
C'est peut-être aussi pour cette raison que bon nombre de coachs ont délaissé le costard cravate – qui est très rarement leur habillement au quotidien – pour une tenue qu'ils connaissent mieux. Et qui présente aussi, dans le cas du «sport chic» ou du training, l'avantage d'être confortable. Ce n'est pas un détail quand on observe les innombrables gesticulations énergiques des entraîneurs et les mètres qu'ils parcourent derrière la ligne. «On peut tout à fait s'habiller confortablement et être élégant», tient à préciser la conseillère en image lausannoise, qui balaie l'amalgame «décontracté égal négligé».
Suzana Pimenta a aussi observé que beaucoup d'entreprises adoptent une stratégie de communication non-verbale: ressembler à son public, notamment via l'habillement. «Avoir des vêtements plus décontractés, c'est peut-être une manière pour les sélectionneurs de se rapprocher de leurs joueurs et des fans», envisage-t-elle. «Si c'est le cas, ils seraient des génies de la communication non-verbale!»
On peut aussi imaginer que, pour un entraîneur, troquer la cravate contre un polo est un stratagème utile à évacuer la pression inhérente aux gros événements chez ses joueurs. Si c'était l'objectif de Murat Yakin mardi soir contre le Portugal, ça n'a assurément pas marché.