Le joueur d'Yverdon-Sport Anthony Sauthier n'a pas célébré son but (décisif) contre Servette (2-1), dimanche en Super League. L'ex-Grenat a vécu un moment cocasse: juste après avoir fait trembler les filets genevois d'une tête croisée, il s'est retrouvé nez à nez avec les fans servettiens remplissant le parcage visiteur.
Si l'on n'entend pas ce que le latéral dit, on devine par ses gestes qu'il s'excuse même d'avoir inscrit ce goal contre son ancienne équipe.
A 1000 kilomètres de la cité du Nord vaudois, Declan Rice a connu pareille situation le même jour lors du match de Premier League West Ham - Arsenal. Malgré un superbe but, celui du 6-0, le milieu défensif des Gunners a ostensiblement montré aux supporters des Hammers, dont il portait le maillot jusqu'à l'été dernier, qu'il refusait de fêter sa réussite.
En février 2023, Kingsley Coman n'avait, lui non plus, pas célébré son but contre le Paris Saint-Germain, en huitième de finale aller de la Ligue des champions (victoire 1-0). Le joueur du Bayern Munich – formé au PSG, où il a fait ses débuts professionnels – s'était justifié ainsi:
Cette attitude de plus en plus courante chez les footballeurs fait débat. C'est le cas dans ma famille. Je pense pour ma part que Sauthier, Rice et Coman ont eu raison de ne pas célébrer leur but. Mon père, Jean-Jacques, est d'un tout autre avis.
De chaque côté de la table du salon, chacun est prêt à dégainer ses arguments qu'il a soigneusement notés sur une feuille. Je me lance: «Quand tu as joué dans un club, tu tisses des liens avec les employés et les fans. Donc quand tu célèbres ton but, tu te réjouis du malheur de pas mal de gens que tu as aimé ou aimes encore. Il faut se souvenir d'où l'on vient. Ne pas célébrer devient alors un signe d'empathie, de respect et d'affection pour toutes ces personnes.»
Mon père m'écoute poliment, sans broncher, à peine un petit sourire en coin. Il prend sa respiration. «Célébrer un but, c'est avant tout respecter ses propres fans», assène-t-il, avant d'enchaîner:
Là, je me dis que le «padre» commence fort. Qu'il va falloir être bon pour la suite. Lui, il a déjà pris confiance. Sans hésiter, il embraie: «Respecter l'adversaire, c'est le traiter comme n'importe quel autre.»
Mon père ferait assurément un bon psy pour les fans brésiliens qui ont toujours en travers le 7-1 de la demi-finale contre l'Allemagne au Mondial 2014: ils peuvent être rassurés, la Mannschaft les a totalement respectés...
Je ne compte pas lâcher le bras de fer. Du coup, je balance mon argument massue: «Ne pas célébrer, c'est un signe d'intelligence.» Voici pourquoi:
Autrement dit, ne pas en rajouter permet d'éviter les débordements et c'est donc, selon moi, une bonne idée.
Mon père, lui, ne l'entend pas tout à fait de cette oreille. Pour lui, ce sont justement ces émotions, avec la passion, qui font l'essence du football. Il a peur qu'en ne célébrant plus un but, on touche à la raison même d'exister de ce sport:
C'est le moment d'avancer mon dernier argument. Je persiste et signe sur la fonction pacificatrice d'une non-célébration, et cette fois même au-delà du stade. Je pense que les buteurs qui ne célèbrent pas sont de bons exemples pour les jeunes footballeurs ou les amateurs, chez qui il y a malheureusement beaucoup de violence (physique ou verbale). Je m'explique:
Jean-Jacques part dans une autre direction. Son regard en dit long: il veut taper fort pour finir. Alors il a fait ses petites recherches et avance le constat suivant:
Throwback to Kingsley Coman ending PSG.He's about to do the same today.pic.twitter.com/z1OgzqDJSI
— Romeo 🇮🇹🇫🇷 (@romeo_albe) February 14, 2023
Et pour mon père, le risque est grand: «Avec les émotions fortes d'un match de football, c'est parfois difficile de garder tout son sang-froid. Le joueur n'est jamais vraiment certain de pouvoir contenir sa joie.»
On conclut le débat père-fils sur cet argument. On campe sur nos positions, mais en tombant d'accord sur un point: les joueurs n'ont pas à s'excuser ou à montrer leur gêne d'avoir marqué contre leur ancien club, en levant par exemple les mains – comme certains footballeurs l'ont fait – ou en l'exprimant en conférence de presse.
Cet article est adapté d'une première version publiée le 23 février 2023 sur notre site.