Chaque année au printemps, l'UEFA exige des chiffres de tous les clubs qui veulent participer à des compétitions européennes. C'est l'occasion de voir l'état des caisses des clubs suisses.
Et ces chiffres, pour l'exercice 2022, sont «souvent effrayants», s'inquiète Florian Hohmann, expert en finance, qui travaille à l'Institut de comptabilité, de contrôle et d'audit de l'université de Saint-Gall.
Malgré ce constat, il s'est habitué à devoir regarder les finances des clubs de football différemment de celles des entreprises économiques normales. C'est pourquoi le bilan économique «souvent effrayant» devient «normal» dès qu'il s'agit de clubs de foot. Pourtant, Hohmann estime que quelque chose doit changer. «Sinon, tout ça finira par exploser», prévient-il.
Florian Hohmann a participé à la rédaction d'une étude financière sur le football suisse. Lorsqu'il se penche sur les chiffres, deux indicateurs ressortent particulièrement pour lui: le ratio de fonds propres et le ratio des coûts de l'effectif.
Le ratio de fonds propres reflète le niveau de réserves d'un club ou, en d'autres termes, sa capacité à faire face à la volatilité singulière du secteur du football. Cette volatilité, c'est par exemple quand les spectateurs ne viennent tout à coup plus ou lorsque l'équipe a échoué lors du match décisif à se qualifier pour la Coupe d'Europe.
La grande inquiétude de Florian Hohmann est surtout liée à ces taux de fonds propres. Selon lui, les clubs devraient atteindre au moins 20% pour être considérés comme relativement stables, ce qui est déjà très bas. Pourtant, la plupart des clubs sont à des années-lumière de ce pourcentage. Seuls le FC Saint-Gall (53%) et les Young Boys (45%) dépassent la barre des 20%. Ce sont aussi les deux seuls clubs de Super League qu'Hohmann considèrent «sains» économiquement.
Les autres clubs de première division sont loin d'atteindre le quota de 20%. C'est par exemple le cas du FC Bâle (3%), qui disposait encore en 2017 d'une imposante réserve de fonds propres d'environ 60 millions de francs, mais qui a entre-temps presque tout brûlé. «L'exemple de Bâle montre à quel point les choses peuvent aller vite», souligne Hohmann. Lucerne, Lugano et Sion affichent même des fonds propres négatifs en 2022, en étant surendettés.
Et le ratio des coûts de l'effectif, quésaco? C'est la valeur du contingent (joueurs) par rapport aux revenus du club. C'est une donnée sur laquelle l'UEFA mise également dans le cadre de son nouveau règlement financier. L'instance européenne du football y stipule qu'à l'avenir, les clubs ne pourront consacrer que 70% des revenus du football – entrées, contrats de télévision et de sponsoring, transferts – à leur contingent professionnel. Sinon, ils s'exposent à des sanctions.
La limite de 70% s'appliquera à partir de la saison 2025/26 aux clubs qui dépensent plus de 30 millions d'euros pour leur effectif et qui participent à la phase de groupes d'une compétition européenne. De nombreux clubs suisses n'atteignent pas cette somme, la règle ne les concernera donc pas.
Néanmoins, cette valeur est également importante pour eux, car les coûts des effectifs apportent une réponse à la question de savoir si les clubs gèrent leurs affaires avec discernement et bon sens. Dans de nombreux cas, en Suisse, la réponse est négative. Certes, les chiffres ne peuvent être calculés que de manière approximative, parce que certaines informations manquent.
Mais c'est clair que plusieurs clubs s'offrent des joueurs trop chers. C'est notamment le cas de Sion et de GC. Pour d'autres, en particulier Lugano et Servette, mais aussi le FC Zurich, la situation est meilleure, notamment parce que des mécènes injectent des millions.
Pour 2022, le FC Lugano affiche près de 21 millions de francs sous «autres revenus d'exploitation», le FC Zurich et Servette plus de 11 millions. Les chiffres-clés de la Swiss Football League (SFL) ne permettent pas de savoir exactement ce qui se cache derrière ces montants. Mais Florian Hohmann affirme que ceux-ci correspondent souvent à des subventions de mécènes. A Lugano, le propriétaire est Joe Mansueto, un milliardaire américain. A Zurich, c'est le couple Canepa qui injecte de l'argent. A Genève, c'est la fondation Rolex.
Le fait que l'UEFA n'accepte pas de considérer de tels paiements comme «revenus issus du football» et que les contingents de Servette, Zurich et Lugano seraient par conséquent beaucoup trop chers ne doit pas préoccuper ces clubs. Car ils ne franchissent pas la barre des 30 millions. Et en Suisse, le règlement d'octroi des licences ne contient pas de règles sur les coûts des effectifs. Ni, d'ailleurs, de critères financiers solides.
En novembre dernier, la SFL a adopté sa nouvelle stratégie pour les années 2023 à 2027. Elle s'y fixe toute une série de grands objectifs. Par exemple, que tous les clubs travaillent de manière durable sur le plan financier. Et qu'ils puissent se passer de l'argent d'investisseurs.
Le problème, c'est que tout ça n'est pour l'instant que de belles paroles. Les règles permettant d'atteindre ces objectifs font défaut, par exemple dans la procédure d'octroi des licences. Florian Hohmann considère que ces lacunes sont dangereuses, et ce pour tout l'écosystème du football suisse. L'expert en finance tranche:
En outre, selon lui, les prix gagnés lors des compétitions européennes devraient être répartis de manière plus solidaire au sein de la ligue.
L'année dernière, l'expert saint-gallois a déjà présenté son étude et ses idées aux responsables financiers des clubs de la SFL. Il trouve que cette dernière n'assume pas assez son rôle de régulatrice.
Pour Florian Hohmann, la pandémie de coronavirus a montré à quel point le système est parfois instable. Et que le monde est devenu plus vulnérable en raison de différentes crises. «La spirale ascendante avec le leitmotiv "plus haut, plus vite, plus loin" sera également terminée un jour dans le football», prédit l'expert.
Selon lui, ce sport se trouve à un tournant. De plus, des thèmes comme la transparence et la durabilité deviennent de plus en plus importants pour les sponsors. Il conclut:
Oliver Wirz, responsable des finances à la Swiss Football League, déclare avoir pris connaissance des propositions de l'étude saint-galloise et en avoir «discuté intensivement» avec les responsables financiers des clubs. L'introduction d'un quota de fonds propres et d'une limitation des coûts des effectifs font l'objet de «réserves importantes».
Wirz précise que les taux ne peuvent pas être appliqués par la ligue d'une année sur l'autre, «et surtout pas contre la volonté des clubs».
C'est là que le bât blesse: les clubs de la SFL se mettraient eux-mêmes des bâtons dans les roues en adoptant des règles financières plus strictes. Pour une modification des statuts, il faut une majorité des deux tiers. Et celle-ci semble illusoire au vu des intérêts divergents.
Christoph Hammer, l'ancien chef des finances des CFF et membre du conseil d'administration du FC Saint-Gall, fait partie des défenseurs de critères de licence plus stricts. Il est l'un des co-auteurs de l'étude et a également cosigné une tribune sur le sujet dans la NZZ.
Son engagement est logique: le FC Saint-Gall dispose du meilleur ratio de fonds propres de tous les clubs de Super League et gère ses affaires de manière exemplaire. Mais ce n'est pas le cas de nombreux autres clubs, qui vivent au jour le jour et grâce au mécénat. Ils ne devraient donc pas être intéressés par de nouvelles règles qui rendraient ce fonctionnement impossible.
Adaptation en français: Yoann Graber