«Ce matin en me réveillant, j'étais déjà stressé par le match», s'émeut Alain Rebetez, 66 ans. Le retraité, qui nous attendait dès 18h00 devant le stade de la Blancherie à Delémont, ne tient pas en place.
Arborant une écharpe jaune et noir, couleurs des SR Delémont, Alain Rebetez veut nous présenter «les copains» et «les vrais supporters du club», «ceux qui ne sont pas venus en touristes». On accepte avec grand plaisir et on pénètre dans l'enceinte delémontaine, spécialement apprêtée pour ce match face à Servette si attendu.
A peine arrivés au bord du terrain, un supporter nous interpelle: «C'est vous la journaliste? Vous êtes entre de bonnes mains avec Pastis!». Oui, le surnom d'Alain Rebetez, c'est «Pastis», son péché mignon. «Ça fait des années que je demande qu'on serve du pastis aux buvettes du stade, mais rien n'y fait, c'est toujours de la bière», sourit-il. On commence alors la tournée des personnalités de la Blancherie. Tel un président en campagne, Pastis serre une quantité innombrable de mains et nous présente à chacune de ses connaissances.
Véritable encyclopédie des SR Delémont, Alain Rebetez se souvient de tout. Ses plus beaux souvenirs? Les SRD qui battent le grand Xamax en quart de finale de la Coupe de Suisse en 1982, «un moment incroyable!» Et la promotion en Ligue nationale A en 1999 avec Michel Decastel sur le banc. Mais le match de ce mercredi 28 février contre Servette, ce sera une autre paire de manches, prévient le fan jurassien.
On ne se fait pas trop d'illusion du côté des amis d'Alain Rebetez, on sait que les Grenat sont «un gros morceau». «Pour gagner, il faut que toutes les planètes s'alignent», lance Christian, son ami journaliste. Il poursuit:
Pastis, bien entouré, commence à décompresser. Les copains rigolent et plaisantent de l'état du terrain delémontain, «pas si mauvais que ça». Mais, à y regarder de plus près, on remarque qu'il est... bombé. «C'est un sacré avantage», s'amusent les supporters jurassiens. La tournée présidentielle de Pastis s'achèvent en plein milieu du kop des SRD, d'où il suivra le match. Plus que quelques minutes avant le coup d'envoi et la crispation revient sur son visage. Les ultras déroulent leur tifo sur nos têtes, le coup de sifflet initial est donné.
Au milieu du fan's club «28 squad», les chants se font entendre. A chaque débordement ou tir cadré jurassien, une clameur résonne. «On a tenu déjà 8 minutes et on joue bien», commente Pastis, les yeux brillants. Remarque validée par son voisin, qui nous lance un «On n'est pas ridicule, hein?» C'est vrai, lors de cette première mi-temps, «les Sports», comme disent les fervents supporters des jaune et noir, regardent leur prestigieux adversaire dans les yeux.
Ils tiennent tête à un Servette bizarrement peu inspiré. Les encouragements du «28 squad» continuent au rythme des tambours. «Il est trop fort lui, je jouais avec à Bassecourt», lance un de nos voisins. Pastis, lui, est plongé dans son match. Il ne dit mot, grimace sur un coup franc mal tiré et sur les fautes «non sifflées» en faveur des Delémontains. Juste avant la mi-temps, un coup franc dangereux des SRD est capté par le gardien genevois, Jérémy Frick.
Alain Rebetez ne croyait pas si bien dire. Dès les premières secondes de la deuxième mi-temps, on sent que les footballeurs delémontains n'y sont plus. Ils encaissent le premier but à la 52ème minute. 1-0 pour Servette. Aïe! Un bref silence envahit le public, mais les tambours et les chants du kop reprennent de plus belle. Malheureusement pour les Jurassiens, la suite ne sera pas des plus glorieuses: les SRD subissent, les imprécisions s'accumulent et Servette a pris le dessus techniquement.
«On savait que ça pouvait se passer comme ça, mais faut pas qu'il y ait trop de buts pour Servette, ça serait dommage pour nos gars», anticipe Pastis, avec une pointe de déception. Nos voisins du fan's club y croient encore, mais le deuxième but de Servette à la 74ème minute douche leurs espoirs. Pourtant, les tambours ne s'arrêtent pas et le capo lance:
Alain Rebetez attendra en vain le but pour l'honneur, «les Sports» finiront par s'incliner 2-0 dans la déception générale.
La foule a disparu de la Blancherie et nous restons manger un morceau de saucisse (trop) grillée aux abords de la pelouse, à refaire le match. Pastis est amer.
Le supporter de la première heure cache un peu sa déception, il tente de philosopher en affirmant que les quarts de finale du la Coupe de Suisse étaient «inespérés» et que voir plus de 5000 personnes à la Blancherie «doit faire plaisir au président et renflouer les caisses». Malgré tout, la rencontre laisse un goût amer à notre nouvel ami. «On n'a pas joué notre football, on n'a rien montré et des équipes comme Servette ne pardonnent rien».
Lorsque nous nous préparons à quitter le stade, Pastis nous rappelle :«Vous restez encore un moment pour un dernier verre?» On n'ose pas refuser. Il est passé 23h00 et les projecteurs de la Blancherie s'éteignent. Alain Rebetez ne semble pas vouloir rentrer chez lui: «Vous savez, c'était un quart de finale d'une Coupe de Suisse et c'était chez nous, c'est un moment fantastique». En voyant la passion de Pastis et de tous les fans jurassiens durant ce match particulier, on le croit volontiers.