Ces vingt dernières années, la Nati n'a jamais été aussi instable qu'actuellement. Il y a d'abord l'incertitude avec laquelle elle aborde l'Euro en Allemagne (premier match le 15 juin contre la Hongrie), la faute à des prestations médiocres cet automne.
Et puis cette place vide dans son staff: l'adjoint du sélectionneur Murat Yakin, Vincent Cavin, n'a toujours pas été remplacé depuis son départ en décembre pour la sélection des Etats-Unis.
Aucun nom n'a fuité de la fédé, mais l'urgence de la situation a fait naître des rumeurs (qui le sont, pour l'instant, restées): Léonard Thurre et Stephan Lichtsteiner. «Les deux n'ont pas assez d'expérience dans le coaching», balaie Raoul Savoy, sélectionneur vaudois de la Centrafrique.
Ce constat du technicien en amène un autre: le rôle d'adjoint est un véritable numéro d'équilibriste, dans lequel il doit sans cesse jauger la distance adéquate (ou la proximité, c'est selon) qu'il a avec les joueurs et le sélectionneur.
Michel Pont en sait quelque chose, lui qui a exercé la fonction pendant 14 ans (2001-2014) au sein de la Nati. «L'adjoint doit toujours sentir jusqu'où il peut aller sans remettre en question l'autorité du numéro 1», assène le Genevois.
Ce questionnement sur sa place, Michel Pont l'a eu jusque dans les moments les plus banals d'une équipe de foot. «Par exemple pendant les petits jeux à l'entraînement, je me demandais parfois si j'étais légitime pour intervenir dans les consignes ou l'analyse.» Il avoue s'être fixé des limites plus étroites avec Ottmar Hitzfeld que sous Köbi Kuhn, «parce qu'Hitzfeld avait une plus grande expérience et, souvent, ses mots suffisaient.»
Mais devant la presse ou en public, le Romand s'est comporté de la même manière avec ses deux supérieurs, en appliquant une autre vertu indispensable à un adjoint: la collégialité. «Même si tu as un avis contraire, tu es main dans la main en public avec ton numéro 1», pose-t-il comme un dogme. Avec, là encore, le souci de préserver la légitimité du chef, au risque que l'équipe éclate en morceaux.
Mais ne vous y trompez pas: pareille loyauté ne fait pas des assistants de vulgaires flatteurs d'ego pour coachs. Au contraire, leur rôle de confident leur intime la plus grande honnêteté, y compris en cas de désaccord. «Je demande à tous mes adjoints de se comporter en numéro 1 dans leur tête», confie Raoul Savoy.
Autant dire que ces responsabilités sont très loin d'être celles d'un simple poseur de plots. Avec la Centrafrique, le sélectionneur vaudois laisse ses adjoints développer leur charisme et leurs compétences communicationnelles en leur déléguant par exemple des conférences de presse, des séances de théorie ou d'entraînement et même du coaching en match. «Ça me permet aussi d'observer avec du recul», explique-t-il. Mais pas que.
De quoi choisir un assistant extraverti pour Murat Yakin, dont le flegme derrière sa ligne même pendant les derniers matchs si peu aboutis de la Nati est devenu un défaut pour ses détracteurs? «Bon, je ne pense pas que prendre un type comme Diego Simeone (réd: le bouillant coach de l'Atlético Madrid) soit une bonne idée, on est trop calmes en Suisse pour un tel profil!», se marre Raoul Savoy.
Et de toute façon, pour Michel Pont, il n'y a aucune autre alternative: «C'est Murat Yakin qui doit choisir son adjoint». Punktschluss. En espérant que ce dernier puisse définitivement rabibocher le sélectionneur et le capitaine, Granit Xhaka.
Car en plus d'éviter de mettre des coups de canif dans le dos du calife, l'assistant est un «médiateur» entre son supérieur et les joueurs, pour reprendre l'expression de Raoul Savoy. «Après les repas, mon adjoint va dans les chambres des joueurs pour les écouter et leur rappeler ce que j'attends d'eux. Ça peut désamorcer des tensions», confie le sélectionneur de la Centrafrique. Et forcément, dans le cas spécifique de cette équipe de Suisse polyglotte, savoir tchatcher dans plusieurs langues est un plus.
Quand on lui demande si le cliché de l'assistant confident des footballeurs est vrai, Michel Pont n'hésite pas une seconde.
Evidemment, pour l'assistant aussi, une certaine distance professionnelle s'impose. Mais elle n'a pas empêché le légendaire Genevois de vivre des «moments privilégiés» avec ses protégés de la Nati, moins solennels que pour un sélectionneur. «Je pouvais parfois faire le con dans le vestiaire, faire des théories plus fun», rembobine-t-il. «Et puis, j'allais aussi davantage vers les joueurs un peu plus discrets, alors que le coach a des liens étroits plutôt avec les leaders.»
N'être ni le clone du numéro 1, ni son ombre. Somme toute, être capable d'amener à l'équipe cette complémentarité essentielle. Voilà donc la mission du futur adjoint de Murat Yakin. S'il réussit son numéro d'équilibriste, il évitera un cirque à l'équipe de Suisse.