En pleine polémique sur la pratique du ramadan dans le milieu du foot français, Samir Nasri a poussé un coup de gueule. Ça s’est passé dimanche soir, dans le «Canal Football Club». L’ex-international français, «joueur à problèmes» aux yeux de Didier Deschamps qui ne l'a pas sélectionné pour le Mondial brésilien de 2014 (un cas Benzema avant l’heure), a déclaré: «Pourquoi les clubs devraient savoir si les joueurs font le ramadan? A mon époque, on ne me posait pas la question de savoir "fais-tu le ramadan ou non ?" (…) Pourquoi, il y a vingt ans, on ne leur posait pas la question?» Réponse d’un journaliste de l’antenne, Philippe Carayon: «Parce qu’il y avait moins de musulmans dans les effectifs.»
Ce parler cash témoigne des tensions identitaires qui traversent la société française. Il n’y avait pas de raison que le «Canal Football Club» y échappe. Le vif échange de dimanche soir fait suite à l’éclatement de l’«affaire Galtier», le 12 avril. Lorsqu’il dirigeait l’OGC Nice, l’actuel entraîneur du PSG aurait tenu des propos racistes et antimusulmans, selon le directeur sportif de l’équipe azuréenne. Christophe Galtier aurait notamment souhaité se séparer de joueurs musulmans en raison de leur pratique du ramadan, le jeûne (ni nourriture ni boisson du lever au coucher du soleil) affectant selon lui leur rendement sportif. Le coach parisien a démenti et annoncé des dépôts de plaintes.
🗣💬 "Je ne peux accepter que mon nom et ma famille soient salis de la sorte."
— RMC Sport (@RMCsport) April 14, 2023
🔴 Christophe Galtier s'est exprimé ce vendredi sur les accusations de racisme et d'islamophobie contre lui. pic.twitter.com/ZL3pmTGTYh
Début avril, invoquant la neutralité religieuse, la Fédération française de football avait allumé les feux en interdisant aux joueurs pratiquants de s'alimenter en cours de match aux heures prévues par le calendrier musulman. Au même moment, fidèle à sa «règle» – on ne jeûne pas les jours de match, en dehors, on peut –, l’entraîneur du FC Nantes, Antoine Kombouaré, suspendait de compétition son arrière-gauche Jaouen Hadjam, 20 ans et toute la fougue de sa foi non négociable.
Pas une sanction, jurait Kombouaré, mais une mesure s’appliquant au jeune joueur pendant la durée du ramadan, tant qu’il refuserait de déroger à la règle, cette fois-ci religieuse. Un accord a-t-il été trouvé? Hadjam était de retour sur le terrain en titulaire, dimanche, pour le déplacement à Auxerre (défaite 2-1).
Et en Suisse? Comme en France, pourrait-on dire. Comme en France, des joueurs font ramadan. «Hier (dimanche), l’entraîneur n’a pas pris un joueur pour aller jouer à GC», confie Christian Constantin, le président du FC Sion (qui s’est imposé 3-1 à Zurich). La raison: ce joueur musulman jeûne durant le mois sacré en islam, y compris les jours de match. «Le coach a estimé qu’il ne serait pas en forme», ajoute le patron du club sédunois. La doctrine à Sion est la suivante:
A Neuchâtel Xamax (dernier du classement de Challenge League), «la gestion du ramadan se passe bien», assure Tiziano Sorrenti, le directeur général. «Ceux qui jeûnent l’annoncent, il y a un suivi effectué avec le staff», relate le dirigeant, qui a «justement discuté de ce sujet la semaine dernière» avec son entourage. La règle privilégiée est la même qu’à Sion: ramadan, sauf jour de match. Voilà pour la première équipe.
Chez les M18 (moins de 18 ans), «deux jeunes musulmans faisant le jeûne sont sortis à la mi-temps, à bout de forces», rapporte Alain Spinedi, président de Xamax Academy, la structure de formation du club neuchâtelois.
Club de 2e ligue, le FC Renens, en périphérie de Lausanne, est «très à l’écoute des jeûneurs et de leurs besoins», explique Giuseppe Guzzardi, membre du staff.
«Sur le onze titulaire de la première équipe, trois joueurs font ramadan, mais tous les musulmans du club ne sont pas pratiquants. De toute façon, notre effectif est suffisamment étoffé pour suppléer aux absences des jeûneurs», affirme Giuseppe Guzzardi. Précision: les joueurs qui le souhaitent sont autorisés à rompre le jeûne (quelques gorgées d’eau, un aliment sucré) en cours de match.
A l'échelon national, Adrian Arnold, porte-parole de l'Association suisse de football (ASF), explique qu'«un nutritionniste veille à la bonne santé des musulmans pratiquants lorsqu'ils jouent avec la Nati en période de ramadan». «On les soutient dans leur démarche», ajoute-t-il. A sa connaissance, l'ASF de donne pas de directives ou conseils particuliers aux clubs au moment du jeûne.
Y a-t-il une moralité au phénomène du ramadan dans le foot? Pas sûr. Si le jeûne semble donner des ailes à certains joueurs, dont Karim Benzema, l'un des plus grands, réputé pour jeûner les jours de match, d’autres voient leurs capacités physiques diminuer. Un club professionnel étant affaire de classement et d’argent, des entraîneurs voudront mettre tous les atouts de leur côté en exigeant une fraîcheur physique irréprochable. «C’est un point de vue légitime», commente Abdelkrim Branine, journaliste et écrivain français, auteur du roman «Le Petit Sultan» (éditions Zellige), dont l’intrigue, en rapport avec le football, fouille les tourments identitaires des descendants de l’immigration maghrébine en France.
«Mais il est légitime de dire aussi, comme Samir Nasri, que le ramadan est une affaire privée», nuance le journaliste.
Il y a vingt ans, on ne demandait pas aux joueurs s’ils faisaient ramadan, a dit Samir Nasri. Il y a vingt ans, la pratique musulmane était déjà en hausse par rapport aux années 80, mais elle n’était probablement pas aussi répandue qu’aujourd’hui parmi la jeunesse. Suite à l’éclatement de l’affaire Galtier, Samir Nasri, de même que la légende Thierry Henry, dont les rumeurs de conversion à l’islam sont vieilles comme le temps où il brillait à Arsenal, ont appelé les joueurs de l’OGC Nice «à parler». Pour crever l’abcès.
«Les jeunes joueurs musulmans sont moins prêts que des trentenaires à faire exception au ramadan les jours de match», note Abdelkrim Branine. Les «vieux» entraîneurs, même ceux élevés en cité comme Christophe Galtier, paraissent largués. Jeudi 20 avril, le ramadan prendra fin. On en reparle l'année prochaine.