Non, sur le papier, l'équipe suisse à Riga n'est à première vue pas meilleure que celle – argentée – de 2018, qui n'avait perdu qu'en finale contre la Suède aux tirs au but. En 2018, notre délégation comptait à peu près le même nombre de noms prestigieux.
Elle était composée de Leonardo Genoni, Reto Berra et Gilles Senn dans les buts. Raphael Diaz, Dean Kukan, Lukas Frick, Mirco Müller, Michael Fora, Ramon Untersander, Roman Josi et Joel Genazzi en défense. Chris Baltisberger, Grégory Hofmann, Reto Schäppi, Kevin Fiala, Nino Niederreiter, Timo Meier, Noah Rod, Tristan Scherwey, Enzo Corvi, Damien Riat, Simon Moser, Joel Vermin, Sven Andrighetto et Gaëtan Haas en attaque. Les joueurs en gras sont également présents à Riga.
Mais, en y regardant de plus près, on constate que la différence entre 2018 et 2023 est considérable sur un aspect: à Riga, les troisième et quatrième lignes font la différence. Et ça se voit statistiquement: en 2018, sept (!) joueurs n'avaient toujours pas marqué le moindre point à l'issue de la phase de poules (7 matchs).
A Riga, après seulement 6 matchs, tous les joueurs de champ ont au moins un point à leur compteur. Symbole de cette métamorphose: le Biennois Gaëtan Haas. De bon attaquant en 2018 (7 matchs/4 points/+2), il est passé à hockeyeur de classe mondiale format NHL dans ces Mondiaux (6 matchs/6 points/+4).
L'impression visuelle d'une équipe plus équilibrée que celle de 2018 est donc confirmée par les statistiques. C'est d'ailleurs le contingent le plus homogène, à un tel niveau, dans l'histoire de l'équipe de Suisse.
Conséquences? La constance pendant un match, davantage d'options pour le coach et une équipe plus imprévisible. Le sélectionneur Patrick Fischer a changé toutes les lignes et les formations de jeu de puissance après la victoire contre le Canada, et pourtant, la Suisse a aussi battu la République tchèque ensuite (4-2), dans le meilleur match de ces Mondiaux jusqu'à présent.
Oui, la Nati est un rouleau compresseur. Ou, de manière plus poétique, pour rendre justice à ses qualités de patinage et à l'élégance de son jeu, on peut dire que cette équipe est un «ballet blanc», si l'on se fie aussi à la couleur de son maillot extérieur.
On peut même oser cette hypothèse: cette équipe ne serait pas meilleure avec Roman Josi. Le capitaine des Predators de Nashville, ministre de la défense des équipes argentées de 2013 et 2018, compte toujours parmi les meilleurs défenseurs de la NHL et donc du monde. Mais il ne sera pas présent à Riga pour des raisons de santé (commotion cérébrale).
L'argument en faveur de cette hypothèse? Roman Josi aurait un rôle de leader, ce qui rendrait la première ligne plus prévisible. Or, la force des Suisses, c'est qu'ils laissent le puck circuler, voire même travailler pour eux. Il passe rapidement d'une crosse à l'autre, souvent en une touche et presque toujours avec précision.
Les défenseurs sont impliqués dans le jeu offensif comme dans aucune autre équipe: ils se lancent à l'assaut pour créer des situations de surnombre et se postent à la ligne bleue pour faire exploser le dispositif défensif adverse. Les Helvètes pratiquent le «hockey total», dans lequel chacun peut assumer n'importe quel rôle. C'est aussi pour cette raison que le powerplay est capable de faire sauter le verrou de l'adversaire.
Un tel collectif serait-il possible avec un «ministre de la défense» aussi dominateur que Roman Josi? La question est permise. Ceux qui répondent «non» ne sont pas des polémistes. Mais en cas de défaite en quart de finale face à l'Allemagne, ils ne pourront pas dire que le résultat aurait été différent avec le Bernois.
Pour la première fois, les journalistes étrangers présents à Riga se sont intéressés à la conférence de presse de présentation de nos stars de la NHL, Nico Hischier, Kevin Fiala et Jonas Siegenthaler. Ils sont les grands noms suisses dans ces Mondiaux.
Mais voilà, le hockey sur glace reste un jeu imprévisible, sur une surface glissante qui peut réserver bien des surprises et sous la direction d'arbitres compétents, mais pas infaillibles. Il faut toujours avoir ces données en tête. La seule vérité, c'est celle du tableau du score. Prudence, donc.
L'adversaire de la Nati en quart de finale sera donc l'Allemagne. Une équipe robuste, solide défensivement, qui travaille plus qu'elle ne joue. Son hockey est simple, fonctionnel et traditionnel. Entraînée par l'archi-conservateur Harold Kreis (64 ans), un tacticien rusé doté d'une immense expérience.
Pour tenter une comparaison: Harold Kreis est un peu le Helmut Kohl du hockey. Son homologue suisse, Patrick Fischer (47 ans), est plutôt comme Emmanuel Macron, avant que ce dernier ne se prenne les pieds dans le tapis avec la réforme des retraites. La devise de Patrick Fischer, à l'instar du parti de Macron «La République En Marche», pourrait être «Le Hockey suisse En Marche».
L'Allemagne n'est pas l'adversaire le plus dangereux pour les Suisses, ni sur le papier, ni tactiquement. Mais le problème pourrait être d'ordre mental: les Allemands ne se laissent pas particulièrement impressionner ou même déstabiliser par le magnifique jeu suisse.
Harold Kreis, champion avec Lugano (2006) ainsi qu'avec les ZSC Lions (2008) et dernièrement actif à Zoug (2014 à 2018), a été interpellé à Tampere par le journaliste de Bild Jörg Lubrich au sujet du surnom «le ballet blanc» donné à la Nati dans ces Mondiaux. Le coach de l'Allemagne a répondu avec humour:
La Suisse reste sur deux défaites en quarts de finale face aux Allemands, en 2010 et en 2021. On espère que la maxime «Deux c'est assez, trop c'est trop» se vérifiera jeudi.
Adaptation en français: Yoann Graber