Genève-Servette et Bienne sont très proches. On peut l'argumenter avec le même nombre de victoires dans cette finale (trois), de points en saison régulière ou avec des face-à-face très serrés. Mais les Aigles ressemblent davantage encore à un autre club de l'Arc jurassien. Et pas de hockey, mais de foot: Neuchâtel Xamax.
On ne parle pas des résultats actuels, puisque les Xamaxiens sombrent dans les bas fonds de la deuxième division, mais de leur historique dans des finales. En trois tentatives, Genève n'en a remporté aucune (échecs en 2008, 2010 et 2021). Xamax, lui, a un bilan encore plus catastrophique dans des finales de Coupe de Suisse (0 sur 5). Au point de léguer à ses équipes successives un peu souhaitable héritage de perdant, une caractéristique quasiment inscrite dans leur ADN? Et des traumatismes qui parasitent leur inconscient collectif? S'il y avait un peu de ça, les Aigles ne partent-ils pas avec un sérieux handicap ce jeudi soir dans leur match décisif pour le titre?
Bernard Challandes, entraîneur de Neuchâtel Xamax lors de la dernière défaite en finale de Coupe (0-2 contre Sion en 2011), balaie l'hypothèse. «Quand il s'agit de dates aussi espacées que celles des finales de Genève, ça ne joue aucun rôle. Moi, je n'y crois pas.» Lui-même n'avait pas ressenti de crispation particulière chez ses joueurs avant d'affronter les Valaisans il y a douze ans. Et il pense que les Genevois n'en auront pas davantage jeudi soir.
A en croire le Neuchâtelois, les hockeyeurs sont encore mieux armés psychologiquement que les footballeurs pour surmonter cette frousse de l'échec, par exemple. C'est une question d'expérience. «En hockey, avec le grand nombre de matchs, les victoires et les défaites s'alternent plus souvent. Perdre une rencontre est plus habituel», observe-t-il.
Romain Ducret, coach mental professionnel qui travaille avec des hockeyeurs, est moins catégorique que Bernard Challandes, Il n'exclut pas que des vieux démons puissent ressurgir. «L'inconscient collectif peut jouer des tours», prévient le Fribourgeois, sans pour autant affirmer que celui des Aigles sera perturbé. Mais, pour éviter toute mauvaise surprise et effacer un éventuel reliquat de scepticisme (pour autant qu'il y en ait), l'expert prendrait quelques initiatives s'il était dans le staff grenat.
La première? Ne surtout pas évoquer ces trois finales perdues, mais axer son discours d'avant-match sur des souvenirs positifs auxquels se raccrocher, histoire de consolider la confiance des joueurs.
Ici, l'idée n'est pas d'intellectualiser mais de jouer sur la fibre émotive des hockeyeurs en éveillant chez eux des sentiments positifs.
Dans cette démarche, Romain Ducret s'appuierait aussi sur l'environnement des Grenat. Et plus particulièrement sur un objet précis. «Je tenterais une identification à l'aigle, le symbole du club», sourit-il.
En plus d'offrir un modèle concret, cette comparaison a une autre vertu: «Elle fait rire, alors elle a de quoi détendre un vestiaire.»
L'entraîneur genevois Jan Cadieux et plusieurs hockeyeurs des deux équipes ont régulièrement exprimé leur volonté de ne rien changer à leur routine de préparation, même avant une échéance cruciale comme celle de jeudi. Garder simplement ses habitudes permet de se rassurer (Rafael Nadal ne dira pas le contraire) et évite d'ajouter de la pression. Romain Ducret appuie ce raisonnement, raison pour laquelle il n'ajouterait que quelques interactions positives et bienveillantes pour aérer la tête des Grenat (et des Biennois, d'ailleurs).
Dans sa méthodologie, le Fribourgeois imagine une dernière étape pour dissiper entièrement les doutes et craintes: un exercice de visualisation quelques minutes seulement avant d'entrer sur la glace.
Vous l'aurez compris, l'objectif est, là encore, de stimuler des sentiments positifs chez les athlètes. «J'insisterais aussi auprès d'eux sur le fait que gagner un titre, c'est un souvenir formidable et que ça crée des liens à vie», complète Louis Matte, qui a perdu deux finales dans le costume d'assistant à Genève (2010 et 2021). Comme Bernard Challandes, le désormais coach principal du HC La Chaux-de-Fonds est plutôt d'avis que les précédents échecs attisent la motivation de gagner plutôt que la peur de revivre pareille déception.
Plus que le contenu de l'héritage, l'important est de savoir ce qu'on décide d'en faire. Mais, quoi qu'il arrive jeudi, les hockeyeurs de Genève et Bienne, dans cette superbe finale, pourront se targuer d'avoir au moins légué un état d'esprit exemplaire à leurs successeurs et au hockey suisse.