Parce que l'Angleterre et l'Italie sont deux grandes nations de la chanson, la première dans le genre pop, la seconde dans le style variétés, on s'est dit, à watson, que ce serait sympa de confronter les finalistes de l'Euro micro en main avant de les voir évoluer balle au pied. A la veille de la finale, nous avons réuni des titres anglais et italiens. Ils correspondent aux années de compétition internationale de football, dont l'Italie et l'Angleterre étaient parties prenantes, sur le sol du pays organisateur. Le derby musical s'arrête en 1998, mais rien n'empêche de le poursuivre. Pronto? Ready? C'est parti.
Le 19 juillet, l'Angleterre, pour la première fois, et la dernière, remporte la coupe du monde, chez elle, à Wembley, face à l'Allemagne, battue 4 à 2 dans les prolongations. Un match de folie, vingt et un an après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le troisième but anglais, à la 101e minute, est validé par l'arbitre, le Suisse Gottfried Dienst, alors que le ballon n'a fait que rebondir sur la ligne après avoir frappé la transversale (carrée). Les Italiens, eux, n'ont pas réussi à s'extraire de la phase de poules. Mais qui, des Stones ou de Caterina Caselli, en 1966, a le plus la rebelle-attitude?
La squadra, avec Dino Zoff déjà dans les buts, bat la Yougoslavie 2 à 0 en finale de l'Euro 68, le 18 juin à Rome, avec un but du phénomène «Gigi» Riva. Un autre phénomène prend ces années-là toute la lumière de la variété italienne, l'immense, l'unique, cette drôle de belle gueule qu'est Adriano Celentano. On est à l'aube des années de braise italiennes, celles du terrorisme. C'est l'époque où les chanteurs et chanteuses de la Botte racontent des tranches de la vie quotidienne. Où les petits riens racontent les petites vies. «Azzuro», c'est trois fois rien et ça dit tout. Un hymne, une fierté. Toue l'Italie s'y retrouve, des borgate aux baraques de saisonniers. Au Royal Albert Hall, à Londres, Cliff Richard, tout propret, se classe deuxième à l'Eurovision de la chanson avec «Congratulations». Dans l'autre compétition européenne, l'Angleterre termine troisième.
Les Italiens s'inclinent 4 à 1 lors de la finale contre le Brésil, le 21 juin à Mexico. Les Anglais perdent 2 à 3 en quarts face à l'Allemagne, qui tient là sa petite vengeance quatre ans après Wembley. Avec «Let It Be», les Beatles retournent chez maman (les premiers mots de ce titre mythique) avant de se séparer pour toujours. Un signore, Domenico Modugno, chante «La lontananza», la distance, irrattrapable, qui le sépare d'une sirène. Eh oui, on court tous après la vie.
Pas de jalouses: l'Italie (face à la Belgique) et l'Angleterre (face à l'Allemagne, encore!) sont toutes deux éliminées en quarts de finale à l'Euro qui se tient cette année-là chez les Belges. Côté chanteur, chacun son glam: David Bowie se transforme en Ziggy Stardust, personnage androgyne (on ne dit pas encore «trans»), en route vers les étoiles. En Italie, il fait chaud sous les t-shirts, sous les maillots. Claudio Baglioni passe immédiatement à la postérité avec un titre hyper-sensuel, mais convenable, «Questo piccolo grande amore», que tout jeune Européen en séjour linguistique en Italie apprend en classe. C'est le «Stairway To Heaven» de la variété transalpine.
Organisé en Italie, l'Euro est remporté par... l'Allemagne. L'Italie perd la petite finale contre la Tchécoslovaquie aux tirs aux buts. Les Anglais sont éliminés en poules, entre autres par les Italiens. En 1980, «Su di noi», une bluette interprétée par Pupo, s'inscrit dans les pas de «Ti amo», tube planétaire cinq ans plus tôt. Ça va crescendo, c'est entraînant, c'est exaltant. C'est gentil, comme peut l'être la variété italienne, souvent pudique (ça rime avec catholique). Coincés, les Anglais sont aussi des excentriques. On n'attendait pas forcément Queen dans un rockabilly. Cuiré et bermudé, l'incomparable Freddy Mercury envoie la voilure comme un chef dans le très chaloupant «Crazy Little Thing Called Love».
Mamma mia! L'Italie est championne du monde, le 11 juillet à Madrid. Elle bat l'Allemagne 3 à 1 le 8 juillet dans la capitale espagnole et venge la France, écartée en demi face à la rugueuse Mannschaft. On se souviendra à jamais de Paolo Rossi (mort en 2020), l'Italie faite attaquant, à la fois vif et nonchalant, capelli neri. Comme on se souviendra de la célébration, gorge déployée, du troisième but, inscrit par le milieu-défensif Marco Tardelli. «Urlo Gol», avait légendé un quotidien sportif italien. L'équipe d'Angleterre n'avait pas franchi le second tour de la compétition. Côté chanson, le couple très love formé par Albano et Romina Power (la fille de la star de cinéma Tyrone Power) mettait du bonheur dans les spaghettis avec «Felicità». Un autre duo, de géants, Paul McCartney et Stevie Wonder, chantaient l'harmonie des couleurs tout en «Ebony and Ivory».
Ciao l'Italie, éliminée par la France en huitièmes. Bye bye l'Angleterre, sortie en quarts par l'Argentine (Maradona, la main de Dieu), l'ennemi dans la guerre des Malouines encore fumante, lors d'un mondial mexicain joué à des altitudes inhabituelles pour la plupart des footballeurs. En finale, les Argentins s'imposent 3 à 2 face aux Allemands. Très, très loin de là, Jimmy Sommerville a encore changé de crèmerie et chante désormais au sein des Communards. «Don't Leave Me This Way» met en eau les dance-floors. Avec son prénom et sa gueule d'amour, Eros Ramazzotti, le bel ragazzo de la canzone italiana, met aussi en eau. Avec «Adesso tu», chacun peut se sentir concerné.
Organisé en Allemagne, l'Euro sourit aux Hollandais de la génération Gullit-Van Basten. L'Italie ne dépasse par le cap des demi-finales, battue par la bonne URSS de Rats et Dasaev. L'Angleterre, elle, ne parvient pas à sortir de sa poule. Au Sud des Alpes, c'est le moment «Gianna Nannini». La fille du pâtissier de Sienne et soeur d'Alessandro le pilote de formule 1, parle à tout monde et notamment aux filles qui aiment les filles. Sur scène, en débardeur, voix poussée à fond, elle explose, dans le genre rock. Son hit «I maschi» (les mâles? les mecs?), sorti en 1987, sème la confusion. A côté, c'est à peine si on entend les Pet Shop Boys, une pop-dance bien sympa pour l'apéro ou la gueule de bois.
Eh bien non, ce n'est pas chez elle que l'Italie accrochera une quatrième étoile de champions du monde à son maillot azzuro (mais en 2006, contre la France). Elle termine à la place d'honneur, troisième, après avoir défait l'Angleterre 2 à 1 dans la petite finale disputée à Bari, dans les Pouilles. Sur son île tempérée, Depeche Mode produit un joli morceau, «Enjoy The Silence», tempéré lui aussi, comme la new wawe, le style signature du groupe. Avec le duo italien Francesco Baccini e Ladri di biciclette, on tombe la veste. «Sotto questo sole» est un jazz enlevé, assez brutal, avec hommage à deux divines de la chanson italienne, Raffaella Carrà (disparue le 5 juillet) et Mina.
Par ici la sortie. Le pied de Gareth Southgate, l'actuel sélectionneur des Three Lions, flageole. Le défenseur anglais rate son tir au but dans la séance du même nom. L'Angleterre perd «sa» demi-finale, sur ses terres, face à l'Allemagne, le futur vainqueur de l'Euro 96 (2 à 1 contre la Tchéquie). Petite année pour les Italiens, cloués dans leur poule. Les Anglais ont de la chance. Ils peuvent se consoler de leur défaite (on verra demain, hein?) en se disant qu'ils font quand même la meilleure pop qui soit. Ces années-là, Blur et Oasis se tirent la bourre, comme Arsenal et Manchester United en Premier League. En 1996, Oasis, toujours aussi geignard, donne un conseil d'ami: «Don't Look Back In Anger». Et l'on retrouve en Italie Eros Ramazzotti, qui vieillit très bien, avec «Più bella cosa».
L'année de la France, qui gagne la coupe du monde, avec un Zidane en état de grâce lors de la finale face au Brésil, à Saint-Denis. L'Italie a perdu en quarts contre le pays hôte, non pas sur un «but de mort», mais bêtement aux tirs au but. Pareillement, mais en huitièmes, l'Angleterre s'est inclinée face à l'Argentine. En 1998, notre monument de la variété italienne, Claudio Baglioni, sort un single qui fait son effet dans les hit-parades transalpins, «Da me a te», une ballade sur le thème de la transmission. En Angleterre, les Spice Girls, quatre ans d'existence, ravissent avec une espagnolade, «Viva Forever». Forever? Et comment!