C'est à Lugano que nous avons rencontré Paul DiPietro, une ville où il vit encore avec sa famille en attendant de trouver un nouveau travail dans le hockey sur glace.
Il y a occupé le post d'entraîneur-assistant de Chris McSorley jusqu'au 8 octobre 2022, date à laquelle les deux hommes ont été licenciés.
Paul, on va bientôt fêter un grand anniversaire dans le hockey.
Paul DiPietro: Je sais à quoi vous pensez! Il y a 30 ans, en 1993, les Canadiens de Montréal ont été la dernière équipe canadienne à remporter la Coupe Stanley.
Et vous faisiez partie de cette équipe.
Oui. Depuis, il y a eu deux grandes célébrations: les 10 ans et les 25 ans du titre. Je n'étais malheureusement pas présent à la fête des 25 ans. Mais je ne manquerai pas celle du 30e anniversaire!
C'était comment la fête en 1993?
Folle. Elle a duré quatorze jours.
Quatorze jours, sérieusement?
Oui, pendant deux semaines, d'une réception à l'autre. Des fêtes sans fin. A la fin de ces quatorze jours, j'étais épuisé. Je me suis retiré dans la maison de mes parents à Sault-Sainte-Marie et j'ai eu besoin d'un mois pour me remettre complètement.
A ce moment, vous n'imaginiez certainement pas faire la suite de votre carrière en Suisse?
Je ne pouvais rien imaginer du tout. J'avais 22 ans et je profitais simplement du moment. J'étais trop jeune pour comprendre l'importance de ce sacre.
Il existe une légende selon laquelle votre grand-père aurait été enterré dans la tenue que vous portiez durant cette fameuse saison 1992/93.
Vous avez vraiment entendu cette légende?
Oui, par des gens de Montréal censés être bien informés.
Vous savez quoi? C'est vrai.
Vous étiez un joueur important des Canadiens de Montréal. Pourquoi ça n'a pas suffi pour faire une grande carrière en NHL?
C'est une bonne question. J'étais sans doute trop livré à moi-même et mon jeu n'était pas assez constant. A l'époque, chacun devait se débrouiller seul. Contrairement à aujourd'hui, il n'y avait pas de skill-coachs ou autres spécialistes pour s'occuper des joueurs.
Si ça avait été le cas, vous auriez probablement fait une carrière en NHL.
C'est possible.
Vous êtes ensuite parti en Europe. D'abord une saison en Allemagne, puis à Ambri.
On m'a proposé de rester en NHL. Mais avec un contrat two-way. Je ne voulais plus m'infliger le hockey des équipes fermes. En AHL, il y avait alors 82 matchs, parfois trois en trois jours. Ça, c'était encore supportable. Mais on jouait avec seulement trois lignes et un goon (réd: un joueur généralement moins technique chargé d'amener de l'impact physique).
Comment êtes-vous arrivé à Ambri?
Doug Gilmour m'avait dit une fois qu'il avait joué en Suisse (réd: 9 matchs et 15 points pendant le lock-out 1994/95 à Rapperswil) et que ça lui avait beaucoup plu. Le directeur sportif d'Ambri, Jacques Noël, m'a invité à un match à Ambri pendant ma saison à Kassel au printemps 1998. C'était un match de demi-finale de play-off contre Zoug et il y avait beaucoup de monde. C'était clair pour moi: «Je veux jouer ici!»
Avec Oleg Petrov, vous avez ensuite dominé le championnat dès votre première saison: une première place pour Ambri en saison régulière et une finale des play-offs 1999 contre Lugano.
Oui, mais je n'ai même pas commencé un seul match dans la même ligne qu'Oleg. On jouait ensemble uniquement lors du dernier tiers ou en powerplay. C'était une époque formidable. Ambri est l'une des meilleures équipes dans lesquelles j'ai joué.
Presque comme les Canadiens de Montréal de 1993?
Presque.
Aux JO 2006, avec la Suisse, vous avez battu le Canada 2-0 et vous avez marqué les deux buts. Les deux goals les plus importants de votre carrière?
Non, cette victoire est avant tout une victoire d'équipe. Pensez seulement aux arrêts de Martin Gerber! Mes deux buts les plus importants, je les ai inscrits en 1993 lors du cinquième acte de la finale de NHL contre Los Angeles, le 1-0 et le 4-1.
Vous avez décrit Ambri comme l'une des meilleures équipes. Qu'est-ce qui est si spécial là-bas?
La rivalité avec Lugano. J'ai joué deux des derbys les plus chauds de la NHL avec Montréal contre Québec et contre Boston.
Mais après une seule saison à Ambri, vous êtes parti à Zoug. Pourquoi?
Mon agent de l'époque, Roly Thompson, m'a dit que c'était probablement à Zoug qu'il y avait le plus de chances de remporter un championnat. Ils avaient en effet été champions en 1998.
Vous n'y êtes pas arrivé.
Il nous manquait deux ou trois joueurs.
Vous mettez qui dans votre équipe «All-Star» de tous les temps du hockey suisse?
C'est une question difficile. Bon, commençons par les défenseurs. Petteri Nummelin et Henrik Tömmernes. Nummelin avait la meilleure première passe que j'aie jamais vue chez un défenseur. Chez Tömmernes, c'est la manière dont il domine le jeu qui impressionne.
Et chez les attaquants?
Damien Brunner dans sa forme de la saison 2011/12, où il a été le meilleur compteur. Je me souviens encore très bien de son premier match avec Zoug, lors de l'exercice 2008/09. Il jouait dans la même ligne que Patrick Fischer et moi et on avait tout de suite compris que c'était un joueur extraordinaire. Son échange contre Thomas Walser est le pire transfert qui ait jamais eu lieu. Au centre, je dirais Martin Plüss. Sa constance au fil des ans est impressionnante.
Il ne manque plus que le gardien.
C'est difficile. Vous pouvez m'aider?
Leonardo Genoni.
Vous avez raison. Partout où il joue, il gagne des championnats. C'est ce qui compte.
Après votre retraite, vous avez d'abord travaillé comme scout et maintenant, depuis 2019, comme skill-coach. Pourquoi jamais en tant que coach principal?
Je connais mes limites. Entraîneur principal, ce serait trop pour moi.
Trop de travail?
Non, non. En tant qu'entraîneur principal, je devrais m'occuper de beaucoup trop de choses et je perdrais la vue d'ensemble. En tant qu'assistant, je peux m'occuper des attaquants et du jeu de puissance. Je peux aider les attaquants à s'améliorer. Je ne me considère pas comme un skill-coach, mais plutôt comme un assistant de l'entraîneur principal.
Du coup, vous êtes un ami des joueurs et un contrepoids au coach, qui se déchaîne sûrement de temps en temps.
Pas un ami. Un partenaire qui les aide à s'améliorer. C'est plus important que jamais aujourd'hui. Les joueurs ont des questions et veulent des réponses.
C'était plus facile d'être entraîneur principal avant?
Non, c'est différent. Avant, les joueurs, on obéissait et on ne posait pas de questions. Mais au final, ce qui comptait pour le coach, c'était aussi les résultats. Aujourd'hui, sur ce point, c'est pareil.
Mais le hockey a changé.
Oh oui, c'est sûr!
L'interprétation actuelle du règlement vous aurait été favorable.
Oui, c'est vrai.
En fait, vous avez joué à une époque trop tôt.
Non. J'ai le privilège d'avoir connu les deux mondes. L'ancienne NHL et, en Suisse, le hockey avec une interprétation plus stricte des règles.
L'esprit de groupe était-il meilleur à Montréal que dans les équipes actuelles?
C'était différent. L'esprit collectif dans une équipe de hockey existe toujours. Mais les joueurs font moins d'activités ensemble. A l'époque, à Montréal, il y avait peut-être deux ou trois taxis après un match. Aujourd'hui, il y en a 22. Parce que les joueurs vont plus souvent chacun de leur côté qu'avant.
Vous connaissez à la fois la culture canadienne et la mentalité suisse.
Je peux vous expliquer la différence tout de suite et très simplement! Dès l'âge de dix ans, j'ai dû m'imposer pour jouer dans chaque équipe au Canada, dans chaque catégorie d'âge, face à au moins 80 concurrents. Année après année. Cette concurrence marque tout le monde. En Suisse, on ouvre la voie à un joueur talentueux et on le porte à bout de bras. Et vous savez quoi? Je n'aime pas le talent.
C'est-à-dire?
Le talent me rend sceptique. Parce que le talent ne suffit tout simplement pas pour faire carrière. Le talent sans la passion n'a aucune valeur. Il faut toujours les deux.
Tiré du magazine Slapshot
Adaptation en français: Yoann Graber