Pas le temps de préparer l'Open d'Australie. Tandis que Belinda Bencic posait pour les photographes après sa victoire au tournoi d'Adélaïde, son «schätzli» et préparateur physique, Martin Hromkovic, a préparé les bagages, vidé la chambre d'hôtel et réservé les vols. Bencic est arrivée à Melbourne juste avant minuit. Avant même sa première séance d'entraînement dimanche, nous l'avons rencontrée pour évoquer sa peur du changement, son nouvel entraîneur qui la fait tant souffrir, ses rêves de Grand Chelem et ses réflexions sur la maternité.
Vous avez eu un début d'année de rêve. Comment vous sentez-vous à l'approche de l'Open d'Australie?
Belinda Bencic: Bien sûr, je suis très heureuse et confiante. J'espère continuer sur ma lancée à Melbourne et monter plus haut dans le classement mondial. Je ne voudrais surtout pas en rester là, avec ce seul titre à Adélaïde. Car ce qui compte, c'est l'Open d'Australie et les tournois du Grand Chelem en général. L'année dernière, ça n'a pas marché aussi bien que je ne l'avais espéré.
Avez-vous une explication?
Je veux absolument gagner un tournoi du Grand Chelem, je le veux vraiment. C'est un objectif depuis que je suis toute petite. L'année dernière, j'ai senti que j'avais les qualités pour le faire et ça m'a mis beaucoup de pression.
Est-ce pour cette raison que vous vous êtes séparée de votre coach Sebastian Sachs?
Nous avons senti tous les deux que la situation ne nous convenait plus. Nous avons essayé de traverser cette mauvaise passe ensemble mais après l'US Open, nous nous sommes aperçus que ça n'avait plus de sens. Il s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas m'emmener plus loin. Et j'ai ressenti cela moi aussi. Même si la rupture était la bonne décision à prendre, elle m'a beaucoup coûté. Je me suis sentie mal parce que nous avions une très bonne entente. C'était une période triste pour moi.
Vous avez engagé Dimitri Tursunov pour sortir de votre zone de confort, un coach qui dit que pour réussir, la seule vraie question est de savoir à quel point vous êtes prêt à souffrir. Comment cette philosophie se traduit-elle au quotidien?
N'importe qui peut travailler physiquement et aligner une centaine de pompes. Mais au tennis, le mental est crucial. Dimitri est très dur et très exigeant. Il me demande d'avoir une attitude résiliante. Il veut que chaque balle compte, même à l'entraînement. Aujourd'hui, il y a des phases où je ne mets pas une balle dans le court pendant un quart d'heure tellement je suis mise sous stress. C'est désagréable et ça crée des doutes, mais je pense que c'est ce dont j'ai besoin. J'avais l'habitude de vouloir me sentir bien à l'entraînement mais ça ne fait tout simplement pas progresser. Dimitri m'a montré que les choses peuvent être différentes. Il m'empêche de me sentir bien. Et je pense que ça doit fonctionner de cette façon.
Vos entraîneurs précédents ne voulaient pas changer votre jeu. C'est précisément ce que vous recherchez aujourd'hui. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis?
Quand j'étais enfant, beaucoup d'entraîneurs disaient que si je jouais comme on me l'avait appris, je n'irais nulle part. Ma technique est différente de la plupart des autres joueuses. Mon père et Mélanie (réd: Molitor, coach et mère de Martina Hingis) ont suivi cette ligne et grâce à elle, j'ai eu du succès. La peur du changement s'est installée. Mais aujourd'hui, j'ai réalisé que je devais abandonner cette peur pour franchir une étape. Dimitri comprend ma trajectoire de vie, je lui fais confiance et je peux mieux lâcher prise maintenant.
Tursunov était le coach d'Emma Raducanu, dernière vainqueur de l'US Open. Il a aussi mené Arina Sabalenka et Anett Kontaveit au sommet. Est-ce la principale raison de votre intérêt pour lui?
Ce n'était pas un critère, ou en tout cas, pas consciemment. J'ai lu beaucoup de choses sur Dimitri et j'ai vu comment il fonctionnait. Il m'est apparu rapidement, clairement, que je voulais travailler avec lui. C'était évident depuis le début. Quand je l'ai contacté, il travaillait encore avec Emma Raducanu. Puis il m'a rappelé et m'a dit qu'il était disponible. Il est ensuite venu à Bratislava pendant deux jours, durant une phase d'entraînement, et en octobre, il m'a accompagnée au Mexique. J'ai été vite convaincue que Dimitri était la bonne personne pour faire évoluer mon jeu.
L'Open d'Australie ne vous a pas porté chance ces dernières années. En 2021, vous étiez en quarantaine. En 2022, vous avez attrapé le Covid juste avant le tournoi. Est-ce que tout va bien cette fois-ci?
Non! Je suis de nouveau tombée malade et je me suis dit: ça ne peut pas être vrai. Pendant environ deux semaines, je n'ai pas pu m'entraîner comme prévu. Mais dans mon malheur, j'ai eu la chance de tomber malade au début de ma préparation. Si ça avait été après, j'aurais dû tout recommencer.
Malgré tout, vous avez réussi à prendre un départ de rêve dans la nouvelle saison. Vous êtes d'autant plus attendue à l'Open d'Australie. Comment faites-vous pour ne pas vous mettre à nouveau trop de pression?
Je perçois ce contexte. Je sens que je joue bien et que ce n'est pas pour rien. J'ai tiré mes conclusions de l'année dernière où je n'ai pas bien négocié les tournois du Grand Chelem.
Et quelles sont ces conclusions?
Je veux aborder les matchs plus sereinement, jouer avec moins d'émotions et être encore plus concentrée. La clé est de rester dans l'instant présent, sans penser à ce qui se passera si je gagne ou si je perds. J'essaie de mettre cela en œuvre. Mais il n'y a aucune garantie.
Vous travaillez avec une psychologue. À quelle fréquence êtes-vous en contact avec elle et comment vous aide-t-elle?
J'en ai besoin tous les jours dans un tournoi où je ne me sens pas bien et où je suis nerveuse. Par exemple, l'année dernière à Roland-Garros. Puis il y a des semaines où ce n'est pas nécessaire. Comme à Adélaïde où je me suis sentie bien. Je peux l'appeler 24 heures sur 24. Cette possibilité aide déjà beaucoup.
Ashleigh Barty a pris sa retraite à 25 ans pour fonder une famille. Naomi Osaka devient également maman pour la première fois à 25 ans. Et vous, vous y pensez?
Bien sûr, en tant que femme, j'y pense. Je fêterai bientôt mes 26 ans, ce n'est pas beaucoup mais j'ai l'impression d'être là depuis toujours. Je me sens plus mature et plus âgée et je serais certainement prête à devenir maman. Je vis aux côtés de Martin depuis cinq ans maintenant. Si cela se produisait dans deux ou trois ans, cela me conviendrait parfaitement, même si ce ne serait pas non plus un problème dans la situation actuelle.
Reprendriez-vous votre carrière comme Naomi Osaka ou Serena Williams, ou est-ce que le fait d'avoir un enfant serait une raison d'arrêter le tennis?
Si ça arrivait à 33 ou 34 ans, je ne reviendrais probablement pas. Mais à mon âge, je pourrais très bien l'imaginer. De nombreux athlètes ont prouvé que c'était possible. D'un point de vue purement physique, l'expérience a montré que ce n'est pas un problème. Bien sûr, il faut du temps pour retrouver son meilleur niveau. Mais l'essentiel est ailleurs. Peut-être qu'en devenant mère, vous ne pouvez pas vous entraîner autant qu'avant ou que vous perdez votre concentration. D'un autre côté, une naissance peut vous rendre plus forte parce qu'elle vous aide à relativiser l'importance d'un match. Personnellement je ne le sais pas.