Thomas Tuchel l'avait fait venir de la Juventus pour renforcer son milieu de terrain à Chelsea. Mais voilà que l'Allemand a été limogé et Graham Potter dépêché au chevet des Blues pour leur redonner un peu de joie (et de points au classement). Si Potter est supposé donner des coups de baguette magique, cette nomination est surtout synonyme de sortilège (ou de coup de balai) pour Denis Zakaria, qui voit son rêve de Premier League se transformer en cauchemar.
Un abonnement au banc et un temps de jeu qui fond comme neige au Qatar. Or pour Murat Yakin, jouer en club est indispensable pour prétendre à une place en sélection. Zakaria l'a compris, son début de Mondial ressemble à son quotidien en club: un temps de jeu inexistant et une place en fin de banc. C'est Fabian Frei qui lui est préféré face au Cameroun (à la place de Djibril Sow). Contre le Brésil, le Genevois est une nouvelle fois spectateur. Michel Aebischer et Fabien Frei sont une nouvelle fois appelés pour muscler un milieu de terrain dépassé par l'intensité brésilienne.
Mais le public, les observateurs, ont tous et toutes pensé à la présence d'un Denis Zakaria, qui aurait fait le plus grand bien à l'équipe suisse dans l'entrejeu. Avec tout le respect que l'on doit à Fabian Frei ou Michel Aebischer, «Zak» évolue deux tons au-dessus de ses deux compères. Lors de Suisse-Serbie, l'entrée en jeu à la 69e du Genevois a fait la différence, grâce à son impact physique, son sens du placement, sa qualité de passe qui ont permis à la Nati de poser le pied sur le ballon durant les minutes les plus chaudes.
Une prestation de ce calibre ne devrait-elle pas faire réfléchir Yakin? Denis Zakaria, n'ayons pas peur des mots, est de classe mondiale. Un joueur qui a reçu pléthore d'offres (Manchester United souhaitait allonger plusieurs millions) pour finalement s'embarquer avec la Juventus dans l'optique de remplacer Adrian Rabiot, annoncé sur le départ. Tout est une question de timing: Rabiot est resté et Zakaria compose avec des soucis à la cuisse. Pire, le Français retrouve du poil de la bête et devient un pion essentiel de la Vieille Dame.
Interrogé après le bras de fer contre la Serbie, le joueur de Chelsea expliquait qu'il n'avait «pas fait grand chose» au micro de la RTS. L'humilité avant tout, alors que durant 20 minutes, ses interceptions, son jeu précieux en milieu de terrain et son désir de porter le jeu helvétique vers l'avant avaient amené une réelle plus-value à la sélection de «Muri».
Sébastien Fournier, actuel responsable technique de l'association cantonale genevoise de football (ACGF), explique que «Zakaria a un impact largement supérieur que Frei, de surcroît remplaçant à Bâle, et qu'Aebischer. J'ai été également surpris de voir Edimilson Fernandes plus souvent appelé que Denis». Mais le Valaisan tempère et rappelle que la complémentarité entre les joueurs joue un rôle. Xhaka et Zakaria sont des joueurs qui ne jouent pas trop haut et donc l'un prime sur l'autre.
Difficile de peser face à Xhaka, dans une forme étincelante et le brassard au bras. Le choix de carrière de Zakaria est un réel défaut pour ce Mondial. Le Genevois était essentiel au Borussia Mönchengladbach, mais son transfert à la Juve et son prêt dans la foulée à Chelsea ont phagocyté son temps de jeu. «Il a voulu découvrir un nouveau challenge en club et ses ambitions se sont en quelque sorte retournées contre lui», admet Fournier.
Sous le maillot de Gladbach, il a été brillant en lieu et place de Xhaka. Il a repris le flambeau et son nom est apparu sur de nombreux calepins des grands d'Europe.
Il est à présent confronté au même problème avec un Granit Xhaka qui lui barre la route, le joueur auquel il devait succéder dans le coeur des fans de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Deux profils semblables qui se téléscopent sous l'ère Yakin: «Denis ne peut pas jouer trop haut, il est dans le même registre que Granit. Ils sont excellents en numéro 6-8 et non en 8-10», détaille l'ancien international aux 40 capes.
Il paraît impossible de se passer du capitaine de l'équipe de Suisse; impossible aussi de remplacer Djibril Sow qui évolue plus avancé dans la disposition, en soutien des attaquants.
Toujours est-il que depuis sa prestation face à la Serbie, difficile de se passer d'un joueur aussi précieux que Denis Zakaria. Un problème de «riche», diront certains. Il révèle surtout une Nati avec une profondeur de banc qui faisait cruellement défaut auparavant.
Et de laisser la conclusion à Sébastien Fournier: «Il est possible qu'après la performance face à la Serbie, des choses peuvent changer dans l'esprit de Yakin. Mais nous ne sommes pas dans le groupe».