Au bout du fil, une voix douce qu'on sent jeune et appliquée. C'est celle de Camille Losserand. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais la Vaudoise vient de claquer le titre mondial de kitesurf Big Air en Espagne, à Tarifa.
Un exploit pour la Suissesse, qui a grandi sur les bords du Léman (une Lausannoise pure souche) et a découvert la pratique de ce sport en vacances, à l'âge de 12 ans, dans le sud de la France avec ses parents, à Hyères-Almannare. Un premier pas pour lancer le mouvement. «Je suis rapidement devenue accro au kitesurf», démarre la jeune femme de 19 ans. Une passion qui ne va plus se défaire et qui semble couler dans les veines de la famille Losserand; sa soeur est aussi sur la planche et cerf-volant dans les mains: «Elle vient de finir au quatrième rang des Mondiaux juniors, à 16 ans.»
Mais la grande soeur a mis les bouchées doubles et gravi les échelons, chez les grandes, pour devenir la référence de sa discipline. Toute auréolée des lauriers de championne du monde de strapless (une discipline qui se fait avec un surf, sans attaches), elle nous donne les clés pour comprendre les spécificités de son sport: «Pour la compétition Big Air, il fallait produire quatre figures comptant pour la note finale, en l'espace de 7 minutes.»
Des aptitudes et un talent qu'elle a affiné ici, en Suisse, malgré des conditions qui ne sont pas toujours favorables. Pour progresser, c'est tout d'abord à Saint-Sulpice (VD). «C’était le spot», assure Camille Losserand. Un premier bassin en forme de tremplin pour elle, pour s'adonner à sa passion grandissante, avant d'explorer d'autres spots helvétiques.
Et rapidement, elle a visé plus haut, piquée au vif, décidée à prendre son envol dans la hiérarchie mondiale. Pour performer dans son sport, Camille Losserand a dû modifier plusieurs choses à son quotidien. Une activité qu'elle pratique depuis six ans avec assiduité, à côté de son cursus estudiantin. Elle qui entame sa dernière année de bac français au Centre national d'enseignement à distance (CNED) a dû faire un choix pour progresser dans son sport. Dès lors, un premier exil sera à l'ordre du jour et se traduit par un changement concernant son parcours scolaire:
Désormais expatriée six mois par année à Tarifa, «la Mecque du kitesurf» appuie Camille Losserand, elle revient les six autres mois de l'année en Suisse. Un exil ibérique de plusieurs mois qui renvoie à cette question récurrente et fatidique: est-ce obligatoire pour une athlète helvétique de s'exporter à l'étranger pour réussir? «Le choix est dicté par la discipline et la volonté de chaque athlète. A chacun de trouver les meilleures conditions pour réussir», tempère Camille Losserand. Dans son cas, il lui fallait prendre des risques et déguerpir avec son baluchon et ses planches pour trouver le meilleur spot pour son entraînement dans des conditions optimales.
Beaucoup de vadrouilles et des kilomètres sur la route et dans les airs pour évoluer et progresser. Avec son coach, Fabio Ingrosso (également entraîneur de Maxime Chabloz, kitesurfer et freerider suisse très connu dans le milieu), elle ride les vagues et flirte avec l'écume pour se propulser vers les sommets de son sport. «J'accumule les compétitions, entre six et sept par année, et je vais beaucoup à El Gouna en Egypte, à l’Ile Maurice, à Dakhla au Maroc, et encore en Afrique du Sud. Je cumule entre huit et neuf voyages par année.»
Beaucoup d'investissements et des heures à charbonner sur l'or bleu, Camille Losserand n'en demeure pas moins active sur un autre océan, numérique cette fois-ci. Les réseaux sociaux, pour elle, et comme pour beaucoup d'athlètes en quête de contrats, revêtent d'une grande importance: cultiver son image est une autre facette de son activité de sportive de haut niveau. «Bien sûr, la visibilité est fondamentale pour les marques. C’est mon outil de travail. Je dois produire du contenu de qualité. Plusieurs de mes vidéos ont très bien fonctionné, avec plus d'un million de vues. Surtout, ça fait partie de mes contrats.»
Néanmoins, la chasse aux clics peut s'avérer chronophage, mais la jeune femme est consciente qu'il faut nourrir sa présence sur les médias sociaux. «Cela prend beaucoup d’énergie et de temps. C’est hyper important pour la promotion de mon sport et pour proposer une immersion dans mon quotidien. C’est le meilleur moyen pour m’exporter, c'est certain», concède la nouvelle championne du monde de kitesurf. Elle assure même apprécier échanger avec ses milliers d'abonnés.
Or, un titre et des millions de vues sur Instagram n'est pas une assurance de pouvoir vivre de son sport: «Je ne peux pas en vivre actuellement. Mais plusieurs contrats sont sur le point de se mettre en place», nous confie la talentueuse kitesurfeuse. Selon les indiscrétions, un partenariat avec le Centre de médecine du sport et de l’exercice de Hirslanden (Clinique la Colline) est sur les rails, pour optimiser ses performances et son entraînement.
Si nous évoluons dans une époque où il est difficile de se détourner des réseaux sociaux pour égayer l'intérêt des annonceurs, la montée des marches (de la gloire) commence sur l'eau et passe par la chasse aux vagues.
Pour Camille Losserand et ses tribulations sur sa planche, ses préoccupations d'avenir ne sont pas encore à l'ordre du jour. Son intention première est de faire connaître le milieu du kitesurf et ses valeurs auprès du grand public – tout comme l'obtention de son baccalauréat. Cette mission en bandoulière, elle préfère ne pas trop s'embarrasser de plans lointains: «Pour l’instant, je n’ai pas une idée très claire de mon futur. Simplement, je veux continuer le plus possible et le plus loin.»