Depuis que l'homme est homme et qu'il se prend pour un oiseau, il a toujours cherché des moyens plus ou moins malins de s'arracher à la gravité terrestre. Les sauteurs à skis les premiers: personne n'a poussé aussi loin la quête monomaniaque de portance, en soupesant chaque mouvement du corps, chaque gramme de chair, chaque millimètre de tissu.
Il y a eu beaucoup de triche, fatalement (puisque l'homme est homme), et il y en aurait encore. C'est ce que laisse entendre le légendaire Janne Ahonen, homme-oiseau devenu poivrot (selon ses propres mots). Le Finlandais publie ces deux photos sur Instagram:
Ahonen assure que sa vieille tenue rouge atteignait «la taille maximale autorisée par le règlement», voire un chouilla de plus, insinue-t-il. «Je ne sais pas comment est fabriquée la bleue, mais ce que je sais, c'est que soit les contrôles modernes sont à côté de la plaque, soit les sauteurs de mon époque et moi-même étions vraiment stupides.»
Ce message est relayé par l'ancien sauteur olympique Sylvain Freiholz, aujourd'hui consultant sur la RTS:
A Pékin, la la Fédération Internationale de ski (FIS) avait disqualifié cinq athlètes dans le concours par équipes, au motif de «combinaisons non conformes». Or ces mêmes combinaisons n'avaient soulevé aucune étonnement quelques jours plus tôt, dans les épreuves individuelles. Les contrôles modernes sont-ils versatiles?
Sur le fond, la démarche est imparable: la FIS veut éviter que le saut à ski devienne du wingsuit. Dans le règlement interne, la combinaison est rigoureusement calibrée de la tête aux pieds, en passant par les sous-vêtements. Des contrôles aléatoires en vérifient l'épaisseur, la perméabilité, mais aussi, surtout, les coutures.
C'est tout le problème que posent certains sauteurs à la virilité suspecte: «Si la longueur entre le sol et l'entrejambe est inférieure à celle mesurée en début de saison, c’est qu’il y a plus de tissu que normalement et donc plus de portance, ce qui est un avantage pour le skieur, surtout avec du vent», explique Caroline Espiau, ancienne couturière des équipes de France, sur francetvinfo.fr .
Son collègue Christian Hoffelinck reconnaît que «tout le monde joue constamment avec la limite autorisée. Il n’y a pas beaucoup de combinaisons qui se plient au règlement». Pour quelques centimètres de tissu, la différence en vol peut atteindre cinq à six mètres, selon les spécialistes. Ce n'est pas par coquetterie que les fédérations engagent des couturiers.
La confection des combinaisons est d'autant plus poussée depuis que le poids des sauteurs, lui, ne fait pas un pli. Aujourd'hui, la longueur des skis est déterminée à partir de l'indice de masse corporelle (IMC), afin d'ajouter du poids à quiconque serait tenté de trop en perdre. Anorexie, drogue, alcoolisme... Le saut à ski avait un vrai problème de conscience, à envoyer dans les nuages, le ventre vide et noué, une meute d'anges efflanqués. «Sur le chemin du buffet, nous passions aux toilettes pour vomir», témoignait encore Ahonen.
Conclusion: si certaines combinaisons paraissent aujourd'hui trop amples, ce n'est pas parce que les sauteurs ont maigri. Mais bien parce que l'homme reste un drôle d'oiseau.