Les restaurants et cafés de toute la Tunisie seront pleins et auront leur télévision allumée ce samedi après-midi. Tous leurs clients ne regarderont qu'un seul programme: la finale de Wimbledon. Elle opposera l'idole nationale, Ons Jabeur, à la Tchèque Marketa Vondrousova (WTA 42).
Les attentes sont énormes dans le petit pays du Maghreb. Et pour cause: Ons Jabeur, favorite samedi, pourrait devenir la première joueuse de tennis – homme et femme confondus – africaine et du monde arabe à remporter un titre du Grand Chelem. Elle avait déjà été toute proche de cet exploit lors du dernier Wimbledon, où elle a perdu la finale en trois manches contre la Kazakhe Elena Rybakina. Deux mois plus tard, l'actuelle sixième mondiale atteignait aussi la finale de l'US Open, où elle s'inclinait cette fois contre Iga Swiatek.
La Tunisienne est une véritable pionnière dans son sport. Elle a déjà eu l'honneur d'être la première Arabe à rentrer dans le top 10 mondial, en octobre 2021, et d'atteindre la finale d'un Majeur. Un CV qui fait d'elle une icône en Tunisie. Son mari et préparateur physique, l'ancien escrimeur tunisien Karim Kamoun, en a conscience:
Ons Jabeur s'attribue elle-même une mission, qui va bien au-delà du tennis. «Je veux montrer qu'impossible n'est pas tunisien», s'exclame-t-elle dans un documentaire vidéo de L'Equipe sur elle, sorti en janvier 2021.
La double finaliste de Wimbledon aime répéter ses aspirations d'ambassadrice et de modèle, comme elle l'a fait par exemple avant sa finale à Londres l'an dernier:
A n'en pas douter, les exploits de la native de Ksar Hellal (ville côtière à 20 km au sud de Monastir) vont créer des vocations au pays. C'est déjà le cas, selon Nabil Mlika, son premier entraîneur. «Le nombre de clubs et de joueurs est cinq fois, dix fois plus grand qu’avant, et c’est grâce à Ons!», s'enthousiasmait-il l'année passée.
Le cinquantenaire avait très vite remarqué l'immense talent et la volonté de fer de sa jeune protégée, qu'il a coachée pendant dix ans. «Elle captait l’attention de tous ceux qui passaient autour des terrains», se remémore-t-il.
Au cours des années, cette fan d'Andy Roddick – «pour son service et son humour», un trait de caractère qu'elle partage avec l'Américain – a fait évoluer sa technique. Au point d'être, aujourd'hui, l'une des joueuses les plus complètes du circuit. En plus d'un jeu de fond de court solide, Ons Jabeur a la particularité d'utiliser beaucoup le slice et l'amorti. «Elle n’aime pas beaucoup les échanges, elle aime changer le rythme très souvent et être imprévisible», observe Nabil Mlika. L'intéressée confirme:
Si la qualité de frappe de la Tunisienne a progressé depuis son enfance, sa ténacité, elle, n'a pas bougé jusqu'à maintenant. «A 9 ans, elle m'a dit: "Je gagnerai un jour Roland-Garros et tu iras boire un café là-bas." Et effectivement, j'ai bu un café là-bas», rembobine sa maman, Rachida, en rigolant.
C'est d'ailleurs elle qui a initié sa fille au tennis, en l'emmenant jouer dès l'âge de 3 ans sur les courts des hôtels de Hammam Sousse, alors seules installations proches du domicile familial. A 12 ans, Ons Jabeur rejoint la capitale Tunis et le lycée sportif El Menzah. C'est là-bas qu'elle commence à jouer sur le circuit mondial junior. Quatre ans plus tard, la pépite remporte Roland-Garros 2011 chez les jeunes. De quoi susciter d'immenses espoirs et attentes.
Mais il faudra du temps pour les satisfaire: la transition chez les adultes ne se fait pas facilement pour la Tunisienne. En janvier 2020, à 26 ans, elle végète encore à la 78e place mondiale. Le déclic a lieu à l'Open d'Australie cette année-là, où son parcours jusqu'en quarts de finale reflète enfin son talent.
Paradoxalement, celui-ci lui a parfois joué des tours. «J’avais trop d’options: frappe, slice, amorti, etc. Je ne savais pas quoi faire, dans ma tête c’était un peu agité», se rappelle la finaliste de l'US Open.
Elle a trouvé cet homme providentiel en Issam Jellali, ancien joueur tunisien de Coupe Davis, avec qui elle collabore depuis février 2020. C'est sous sa houlette qu'Ons Jabeur a remporté ses quatre titres en carrière (Birmingham en 2021, Madrid et Berlin en 2022 ainsi que Charleston cette année).
Karim Kamoun, lui, rappelle depuis 2017 à sa femme que Jabeur rime avec labeur. «Ons est forte et très explosive, mais c’était très difficile pour elle d’améliorer son endurance», rejoue celui à qui elle a dit «oui» en 2015.
C'est certain, la Tunisienne est désormais armée pour aller chercher un premier titre du Grand Chelem. Avec une victoire contre Marketa Vondrousova, le goût du café de sa maman et des restaurants tunisiens samedi après-midi aurait une tout autre saveur.
Cet article est adapté d'une première version publiée le 9 septembre 2022 sur notre site.