En une année, Novak Djokovic n'a pas tellement changé. Il est resté fidèle à ses croyances mystiques et à son régime de canari. Il a conservé son humour subtil, œil rieur et blague facile. Il sourit et il se rembrunit, il impressionne et il crispe. Accessoirement, il n'est toujours pas vacciné contre le Covid.
Ce n'est pourtant pas le même homme qui, ce lundi, est réapparu en Australie, où il était pourtant frappé d'une interdiction de territoire de trois ans. Refoulé l'an dernier sous escorte policière, Djokovic est revenu sous les ovations. Sans aucun événement particulier entre les deux.
Il y a un an, faut-il le rappeler, Novak Djokovic était désigné comme une menace, un danger pour la société. Une créature du démon: petit corps malade et figure iconique de la lutte antivax. Il était rabaissé au statut de clandestin, jeté dans un gourbi avec une bouteille d'eau et quelques vieux journaux, renvoyé par le premier avion avec ses rêves de Grand Chelem et sa paperasse bidon. Chassé comme un bandit.
En une année, rien n'a changé, sauf la composition du gouvernement australien. Preuve que l'affaire était éminemment politique, sinon passablement hypocrite, toutes les sanctions ont été levées d'un simple pouce vers le haut. Djokovic a pu rallier l'Australie en rock-star de compét', avec fanfare et courbettes, alors même qu'il n'a renié ni les convictions, ni les «mauvaises» actions qui, l'an dernier, faisaient officiellement de lui un être toxique.
En janvier 2022, c'était des débats haineux, des briques de laits éclatées sur le parvis du tribunal, des gaz lacrymogènes sur Collins Street, des cris et des danses hystériques devant le centre de détention pour migrants où Djokovic était incarcéré. En janvier 2023, c'est la paix des méninges, des verres d'eau levés en l'honneur du champion propre en ordre, des demandes de selfies, des «Novak, Novak» qui tombent du ciel et finissent en réceptions officielles.
Following his loss in doubles, #Djokovic took his time with the fans. pic.twitter.com/lIetlHpMr1
— Saša Ozmo (@ozmo_sasa) January 2, 2023
Pour Djokovic, son renvoi d'Australie fut particulièrement symbolique d'une certaine impopularité crasse, imputable notamment à sa manie de jouer avec les lignes. Quand Nadal déclarait à la presse que «Nole connaissait les règles», il laissait entendre que son rival avait bien cherché son expulsion. La population australienne partageait son avis à 73%, selon un sondage du Sydney herald. Au final, Djokovic perdait sa dignité, Nadal gagnait le tournoi, et les records étaient bien gardés.
Djokovic ne l'a pas exprimé en des termes aussi crus mais cette expérience traumatisante a contribué à gâcher son année. «Je ne pourrai jamais oublier», a-t-il encore répété lundi, tout en affirmant son besoin d'«aller de l'avant». L'Open d'Australie était «son» tournoi (neuf titres); il est devenu son anathème.
Ô miracle, tout est déjà pardonné. Tout ce que l'Australie compte d'élites intellectuelles et politiques semble considérer le Djoker avec déférence, sans qu'il soit toujours facile de distinguer le sentiment de culpabilité du trou de mémoire (à moins que ce ne soit seulement un manque de vergogne). La transition peut paraître brutale, voire indécente, après les reproches obscènes qui avaient raccompagné le Serbe à la frontière, aux limites de la dignité humaine, il y a seulement un an (oui, un an: on ne le relèvera jamais assez).
Depuis Adélaïde, où il a repris du service en double au côté de Vasek Pospisil, Djokovic ne cache pas un certain soulagement. «J'espère que je serai le bienvenu», avait-il tweeté avant de monter dans l'avion. Le Djoker n'est déjà plus ce personnage nuisible que l'Australie cherchait à répudier. L'accueil chaleureux qu'il reçoit à Adélaïde semble le rassurer autant que l'enhardir. Pour un esprit aussi spirituel que le sien, il est tentant d'y voir un signe. Le signe divin que le vent, peut-être, enfin, a tourné. Que Dieu saura reconnaître les chiens.
En Australie comme ailleurs, les foules semblent également percevoir la rareté du moment, son tragique et sa fin toute proche. Roger Federer n'est déjà plus qu'un papa gâteau tandis que Rafael Nadal, deux défaites consécutives depuis la reprise (le pire début de saison de sa carrière), est constamment interrogé sur sa retraite, lui aussi, ce qui n'en finit pas de l'agacer.
Novak Djokovic n'est peut-être pas le préféré, il sera toujours le méchant du film, mais ça reste le même film, l'un des plus grands de tous les temps, et personne n'est pressé de connaître la fin. Aussi longtemps que le Djoker tiendra debout, et avec lui toute cette Histoire, les foules lui témoigneront de la gratitude, peut-être même quelque effusion suspecte. Une partie finira sûrement par l'aimer, a minima pour sa nature obstinée et brave.
Puisque tout est déjà oublié, The Guardian rappelle avec tact que Novak Djokovic «n'était pas la seule personne détenue dans le centre de détention pour migrants de Melbourne». La présence d'une star du sport dans ce motel sordide avait révélé incidemment la cruauté du système d'immigration australien, à travers lui le traitement réservé aux réfugiés en phase de renvoi, dont certains «attendent» de nombreuses années.
Il y a fort à parier que personne n'ira chahuter cette année devant le centre de migrants. Djokovic a été gracié, trop riche pour ne pas obtenir gain de cause et trop célèbre pour ne pas la faire entendre. Mais a-t-il tout oublié, lui? A-t-il tout pardonné?
Un esprit aussi revanchard que le sien pourrait y trouver une motivation supplémentaire, bien au-delà du cadre sportif. Dussions-nous recourir à un cliché stupide, tout porte à croire qu'en 2023, Djoko reviendra plus fort. En Australie d'abord. Mais pas seulement et pour toutes sortes de raisons.