En 2009, Roger Federer avait déjà remporté l'Open d'Australie, Wimbledon et l'US Open au moins une fois. A trois reprises, il ne lui avait manqué que Roland-Garros pour réussir le Grand Chelem calendaire. Mais la bataille de Paris semblait perdue. Federer, jeune marié de 28 ans, n'était plus aussi dominateur et endurant sur la terre battue. En 2009, peu le croyaient encore capable de triompher Porte d'Auteuil. Nadal, contre lequel il avait perdu quatre fois, et Djokovic, semblaient trop forts.
Mais ce 30 mai, Djokovic est éliminé au troisième tour par Philipp Kohlschreiber et son superbe revers à une main. Le lendemain, c'est au tour de Nadal, légèrement touché à un genou, de s'incliner en huitièmes de finale contre Robin Söderling, la première défaite de l'Espagnol à Roland-Garros. Et soudain, Federer devient le grand favori du tournoi...
C'était juste avant son huitième de finale du lundi de Pentecôte contre Tommy Haas. Le Maître n'avait jamais perdu contre aucun des joueurs encore en lice. C'était la voie royale vers un premier Grand Chelem en carrière, son obsession depuis des années.
RF avait remporté ses neuf dernières confrontations avec Tommy Haas (dont deux par abandon). Ce jour-là, le numéro 63 mondial se défend comme il peut. Mieux que cela en fait: il est en route vers la victoire. Haas mène 2 sets à 0 et 4-3 lorsqu'il se procure une balle de break, et donc une «petite balle de match» sur le service de Federer à 30-40.
Le Maître est intouchable sur sa mise en jeu depuis le début du match. Jusqu'à 6-6 au premier set, il ne concède aucun point sur son service, mais justement, dans le jeu décisif, un seul mini-break (7-4) suffit à Haas pour remporter le set. Federer ne perd que deux points dans les trois jeux de service suivants. Il s'adjuge 36 points sur 38 possibles!
Mais à part le service, rien ne fonctionne chez le Suisse. Le jeu en fond de court est catastrophique: «Je ne l'ai pas du tout senti pendant deux sets et demi, mais c'était aussi très difficile avec le vent qui tournoyait très fort sur le Central.» RF n'a jamais aimé le vent, qui lui ôtait un peu de maestria technique.
Federer perd le deuxième set 5-7 et lorsqu'il se retrouve confronté à cette balle de break à 3-4, 30-40, au troisième set, il n'est sans doute pas le seul à se voir déjà dans l'avion. Cinq petits points le séparent de l'élimination. S'il ne transforme pas cette balle de service, c'est fini.
Haas pense que Federer était trop sûr de lui après les éliminations de Nadal et Djokovic. Mais le Suisse révèlera bien des années plus tard que c'était en réalité tout le contraire: «Chaque personne que je croisais à Paris me répétait: "C'est maintenant, c'est maintenant!" J'ai vécu avec cette pression jusqu'à la fin du tournoi et elle était bien plus forte que d'habitude.»
Peut-être que sur cette fameuse balle de break, Federer est déjà un peu résigné. En tout cas, il ne la joue absolument pas comme si elle était cruciale, mais plutôt avec l'énergie du désespoir, en «fermant les yeux» (expression). Sur le retour croisé de Haas, RF tourne autour de son revers et envoie un missile à travers le court en prenant tous les risques, ce qui n'était pas vraiment son habitude sur les points décisifs. Le court est grand ouvert. Miracle: la balle effleure la ligne et gicle. Pas de break pour Tommy Haas.
«Après cette frappe, j'ai commencé à croire en la victoire, c'était mon premier très bon coup dans ce match», avouera Federer. Et Haas? Nul doute que le break l'aurait emmené au bout de l'exploit. Mais l'Allemand admettait sportivement: «Il faut simplement tirer son chapeau et dire: "C'est pour ça que Roger Federer est Roger Federer".»
Ce point restera un tournant dans la carrière de Federer, peut-être le plus important en termes de conséquences. «Je l'ai réalisé bien plus tard», avouera le Maître. Car après cette balle, c'est lui qui signe le break décisif sur le jeu de service suivant de Haas. Il remporte la troisième manche 6-4, prend le contrôle du match et s'envole vers une victoire 6-0 6-2 en 3 h 07.
En quart de finale, il bat Gaël Monfils en trois sets, puis c'est autour de Juan Martin Del Potro après avoir été mené 2 manches à 1. En finale, sous un ciel aussi menaçant que le regard de Robin Söderling, Federer devient intouchable. Il s'impose 6-1 7-6 (7-1) 6-4 et remporte son premier titre à Roland-Garros, le seul et unique.
Il devient le sixième joueur à réussir le Grand Chelem en carrière après Fred Perry (1935), Don Budge (1938), Rod Laver (1962), Roy Emerson (1964) et Andre Agassi (1999). Rafael Nadal et Novak Djokovic suivront peu après. Sans ce titre, le palmarès de Federer ne serait pas complet. Sa trace dans l'Histoire ne serait assurément pas la même.
Cet article a été adapté d'une première version parue en juin 2023 sur notre site.