Caroline Wozniacki a 33 ans, «l'âge du Christ», disent les grands esprits, «l'âge où les astres s'alignent exactement dans la même position que le jour de notre naissance, nous offrant une deuxième chance de vivre en adéquation avec notre moi profond», renchérissent les astrologues. Or Caro ne veut pas laisser passer cette seconde chance.
Trois ans et deux enfants plus tard, l'ex-No1 mondiale revient dans le tennis - comme tant d'autres. Elle est même revenue de tout; d'une vie de rêve où elle aurait fabriqué son pain et couru nue dans les fougères, où le voile de la brume sur la rose perlée du matin ( 🎻 ) lui aurait procuré autant d'extase que la Une de Vogue. En réalité, elle est devenue - elle aussi - une princesse sans court, dépouillée de ses atours, attachée à sa vie pépère (ligotée?) par les liens sacrés du mariage.
Carline Wozniacki a maintenant de nouveaux rêves, gagner le double mixte avec Holger Rune aux Jeux olympiques de Paris et essayer toute seule aussi, en puisant dans les ressources de son moi profond. Mais puisqu'avec Caro, un bonheur ne revient jamais seul, elle ne dit pas seulement que le tennis lui manquait. Elle ajoute des postures militantes de femme indépendante, en mode Frida Kahlo de l'effet rétro.
Caro ne revient pas pour chasser l'ennui, trois notes de blues et un peu d'humeur noire (ⓒ JJG). Lasse d'être une ex, elle revient «pour exister». «Poursuivre des objectifs». Elle débarque avec ses deux marmots sous le bras, 2 ans et 8 mois, puis son mec à la cuisine, pour remettre la championne au centre. Le tout avec un sens intact de la mise en scène:
Après toutes ces années, Caroline Wozniacki est restée cette publicité vivante que la WTA aimait promouvoir, que ce fût pour ses frêles nuisettes ou son coup de raquette. Comment oublier? Les soirs de prime time, la blondeur de ses 20 ans ruisselait sur ses épaules comme une coulée de miel, son sourire disait merci à la vie, papa était là, maman aussi – qui fait du chocolat - son petit cri plaintif sonnait l'hallali des garces et des rudes.
Ne restait plus qu'à gagner des tournois... Caroline Wozniacki a toujours eu l’accent traînant et la langue bien pendue; mais ses babillages n'ont pas toujours suffi à étouffer le débat de fond, celui d’une No1 mondiale qui n'avait pas remporté le moindre Grand Chelem. Régulière et va-t-en-guerre. Mais qui n'avait ni panache ni extravagance. Le tennis désespérément rationnel et géométrique.
«Caroline a une compréhension parfaite de ce qu’elle est capable et incapable de faire. Si elle était gérante de fortune, elle obtiendrait de bons rendements, mais elle ne deviendrait jamais milliardaire», l'a habilement résumée Geoff MacDonald, analyste du New York Times.
C'est Roger Federer qui, le premier, a volé à son secours: «Caroline est No 1 sans avoir gagné de grands tournois, et alors? Sur le circuit WTA, beaucoup de filles ne font que passer. Ce n'est pas le problème de Caroline. Elle fait son travail et, si elle est numéro une mondiale, c'est qu'elle le mérite. C'est le résultat d'une domination. Elle vit avec le même reproche depuis des mois et cette remarque la renvoie à sa propre culpabilité. Personnellement, je trouverais difficile de monter sur le court avec un tel poids.»
Et c'était même très difficile... Si difficile que la cuirasse a craqué parfois - deux fois, trois fois, combien d'autres fois au coin d'un mini-bar?
Tandis que tout le monde s'acharnait sur son CV, Caroline Wozniacki a joué à la poupée. C'était le tennis féminin de l'époque, où l'on pouvait jouer sur les formes pour éluder les questions de fond. A défaut de gagner, elle est devenue gagneuse. Caro souriait comme Barbie pour faire oublier qu'elle cognait comme Rocky, sublime satire du tennis contemporain où, aux balles du samedi soir, il fallait être la plus belle pour aller gagner. En 2021, Iga Swiatek - alléluia - a balayé tout ça d'un puissant revers à deux mains, en roulant les biscotos sous un vieux marcel délavé.
Caroline Wozniacki avait adopté un style utilitaire, fondé sur le gain immédiat et l’optimisation des compétences. Elle voulait être la vainqueur plutôt que la meilleure. Education classique: père polonais, ancien footballeur, devenu un coach de tennis autodidacte et possessif. Au Danemark, des vieux articles de presse qui racontent «une gamine frêle, souriante et volontaire, prête à bouffer le monde», «un père qui a construit une machine et veut la faire tourner».
Mais puisque personne ne la trouvait marrante, sinon intéressante, Caroline «Woznia… qui?», comme l'appelaient les moqueurs, s'est construite un personnage, archétype de la bonne copine, toujours disponible et apprêtée. Toujours attentive à son prochain (Rory McIllroy), quitte à passer au suivant (David Lee).
Donc un beau jour, à l’Open d’Australie, Caroline Wozniacki a entrepris de changer son image, de paraître moins douce et première de classe. Elle est arrivée en conférence de presse avec des gants de boxe et un kangourou gonflable, histoire de repousser toutes les attaques sur son statut de no 1. Nous étions dans la salle ce jour-là où la moitié de l'assistance riait charitablement - et l'autre moitié réprimait une envie mesquine d'interviewer le kangourou.
Un autre jour, la Danoise a fait les questions et les réponses. «Caroline, es-tu contente de ton match? Oui, mon jeu est en place, je suis soulagée d’avoir passé ce tour. Quelles sont tes attentes dans ce tournoi? Je reste «focus», je prends match après match.» Ce n’était qu’une parodie, évidemment. Mais fichtre que c’était bien imité.
On a tout redouté ce moment où Caroline Wozniacki arriverait déguisée en koala ou en rhododendron qu'on a fermé les yeux sur son déclin. Elle a compris elle aussi que ses élucubrations désespérées ne lui rendraient pas sa légitimité. «Désolée, je suis un peu blonde», s’est-elle finalement repentie. Elle était devenue si ambigüe, à mélanger le sens de la carrière avec des kangourous atrabilaires, que plus personne ne savait à qui il avait affaire. Alors Caro fut assez vite oubliée. Même après avoir remporté un Grand Chelem, enfin, quelque six ans plus tard (Open d'Australie 2018).
A-t-elle manqué au tennis? Peut-être pas. Tout le monde est-il content de la revoir? Ceux qui aiment les secondes chances ne peuvent pas rester insensibles à la résurrection d'une championne de 33 ans, et à l'espoir de découvrir enfin son moi profond.