Nous sommes le 12 juillet 1998 et le Brésil est le grand favori avant la finale de la Coupe du monde disputée au Stade de France contre le pays hôte. Roberto Carlos, Dunga, Rivaldo, Bebeto et surtout Ronaldo, âgé de 21 ans seulement, doivent offrir à la Seleção «La Penta», soit le cinquième titre de champion du monde.
Ronaldo est jusqu'à présent la grande surprise de cette Coupe du monde. Il était certes déjà de la partie quatre ans plus tôt aux Etats-Unis, mais il n'était pas entré en jeu. Son heure a sonné cette année puisque l'attaquant de l'Inter Milan, grâce à sa vitesse et sa technique balle au pied, a marqué quatre buts sur le chemin de la finale.
Mais lorsque les compositions d'équipes tombent, environ une heure avant le coup d'envoi, c'est la stupeur: Ronaldo n'apparaît pas dans l'équipe. Juste après son nom, les journalistes découvrent la mention «N.a.», comme «not available». C'est Edmundo qui doit le remplacer aux côtés de Bebeto.
A 20 heures, soit une heure avant le coup d'envoi de la finale, le prodige brésilien n'est même pas au stade. Le médecin de l'équipe sud-américaine, le Dr Lidio Toledo, fait savoir que Ronaldo ne peut pas jouer en raison d'une blessure à la cheville gauche. Mais un quart d'heure plus tard, les bénévoles distribuent soudain de nouvelles listes. Cette fois-ci, le numéro 9, Ronaldo donc, figure bel et bien dans le onze de départ. Edmundo disparaît alors de l'équipe des titulaires.
Ronaldo est bien sur la pelouse au coup d'envoi, mais tout le monde comprend après quelques instants que le buteur n'est que l'ombre de lui-même. Rien ne lui réussit, il erre comme un fantôme sur le terrain et semble contaminer par sa léthargie, ses coéquipiers pourtant si entreprenants lors des matchs précédents. Le Brésil s'incline 3-0 face aux Français du double buteur Zinédine Zidane. Le pays est sous le choc.
Après le coup de sifflet final, le Brésil n'est pas le seul à s'interroger sur la performance laxiste de Ronaldo. Pourquoi «O Fenomeno» a-t-il joué alors qu'il n'était manifestement pas en pleine possession de ses moyens? Le sponsor Nike l'a-t-il forcé? Après tout, l'équipementier avait fait une publicité agressive autour de la Seleção et réclamé que Ronaldo, son ambassadeur, dispute l'intégrité des matchs. La marque à la virgule est-elle en cause?
Peut-être la mafia des paris était-elle intervenue? Ou alors Ronaldo a eu des soucis de santé (problèmes d'estomac, crise d'épilepsie?). S'agissait-il d'une réaction allergique à l'analgésique Xilocaine, avec lequel ses douleurs au genou étaient sans cesse atténuées? Ou d'une réaction psychosomatique à tout le tapage médiatique qui avait grandi autour de lui au fil du tournoi?
Aujourd'hui encore, près de 25 ans après les faits, le mystère n'est pas totalement résolu. Même une commission d'enquête mise en place par le Parlement brésilien n'a pas démystifié cette affaire. En remontant le fil de l'histoire, on s'aperçoit que l'après-midi du jour de la finale, Ronaldo regarde le GP de Formule 1 de Silverstone à la télévision, à l'hôtel de l'équipe.
Soudain, l'attaquant est pris d'une crise et se débat sauvagement. Il a de l'écume à la bouche, ses coéquipiers doivent le retenir. «C'était choquant», dira Edmundo.
Son coéquipier de chambre Roberto Carlos court dans le couloir et crie à haute voix:
Les médecins se faisant attendre, son coéquipier César Sampaio lui sauve la vie en retirant de sa bouche la langue que l'attaquant avait avalée. Puis les médecins arrivent enfin et lorsque Ronaldo s'endort, ils conseillent au reste du groupe de ne pas lui parler de l'incident. C'est ce qu'ils font. «Je ne me souviens de rien. J'ai perdu connaissance pendant trois ou quatre minutes», dira Ronaldo lorsqu'on l'interrogera plus tard sur l'incident.
Ses coéquipiers sont sous le choc. «Quand nous avons pris notre repas à 17h30, Ronaldo est arrivé en dernier et il est resté assis la tête basse. Il n'a rien dit et rien mangé», se souvient Edmundo. L'équipe se rend au stade sans lui et sans la musique de samba habituelle. L'attaquant vedette est envoyé à la clinique des Lilas.
Les tests effectués à l'hôpital ne permettent pas de diagnostiquer quoi que ce soit, la suspicion de crise d'épilepsie n'étant pas confirmée. Le jeune homme de 21 ans doit alors signer une déclaration de sortie sous sa propre responsabilité et sans pouvoir s'entretenir avec sa sélection ou les médecins de l'équipe, qui se sont rendus au stade dans l'intervalle.
Ronaldo rejoint l'enceinte une heure avant le début du match. Dans le vestiaire, il se déclare apte. Enfile son maillot et demande au médecin de l'équipe, le Dr Lidio Toledo, de pouvoir jouer au motif que les médecins de la clinique n'ont rien trouvé. «Vraiment?», demande Toledo et Ronaldo répond devant toute l'équipe: «Oui, je n'ai aucun problème. Je veux jouer et je vais jouer!» L'entraîneur Mario Zagallo décide alors d'aligner le joueur, qui entre sur le terrain sans s'échauffer avec le résultat que l'on sait.
Ronaldo nie par la suite avoir été forcé par Nike à jouer: «Ma relation avec l'équipementier a toujours été très bonne, ils m'ont juste demandé de porter leurs chaussures et de marquer quelques buts.»
En 2012, une nouvelle théorie du complot est apparue en provenance...d'une prison du Zimbabwe. Un parrain des paris sportifs de Singapour y est incarcéré et raconte qu'il avait à l'époque soudoyé Ronaldo pour qu'il joue mal afin d'aider la France à remporter le titre. Le malaise précédent en finale n'aurait servi que d'alibi à la piètre prestation du joueur. Une théorie plus que douteuse.
Au Brésil, on tâche d'oublier cet incident. A plus forte raison depuis que Ronaldo a propulsé la Seleção vers son cinquième titre de champion du monde en 2002 en marquant huit buts, dont deux en finale contre Oliver Kahn. La finale mystérieusement ratée de 1998 à Paris fait désormais définitivement partie de ces événements sportifs sur lesquels l'âme populaire brésilienne préfère ne plus trop s'attarder.