Ce 15 mai, le peuple suisse est de retour aux urnes. Il aura notamment l'occasion de s'exprimer sur la modification de la loi sur le cinéma. On appelle souvent cet objet «loi Netflix», car elle demande aux services de streaming – Netflix, Disney+, etc. – d'investir 4% du chiffre d’affaires qu’ils réalisent en Suisse dans la création cinématographique du pays. Or, la disposition prévoit également qu'ils réservent 30% de leur catalogue à des séries ou des films produits en Europe. Ce qui fait de cet objet une «votation complexe».
Une obligation d'investir, qui ressemble à une taxe et qui a trait à la politique industrielle, mais aussi un quota pour les catalogues, qui consiste en une intervention de l'Etat dans des offres culturelles et de divertissement: il n'est pas rare, en tant que votant, d'être confronté à plusieurs objets en un. On serait même tenté de croire que c'est de plus en plus fréquent – songeons par exemple aux récentes votations «package» que sont le paquet d'aide aux médias, la loi sur la chasse ou encore le projet Réforme fiscale et financement de l’AVS.
Cette impression est-elle fondée? Selon le politologue René Knüsel, en ce qui concerne les référendums (qui au contraire des initiatives sont des votations sur des lois élaborées par le parlement), «on a effectivement affaire à des lois de plus en plus techniques – et aussi de plus en plus contestées». Y a-t-il un lien direct entre les deux? Et comment comprendre exactement ce que signifie cette technicité? C'est ce que nous allons tenter d'éclaircir ici.
Déjà, peut-on vraiment distinguer votations simples et votations complexes? Rien n'est moins sûr. «Une loi qui est soumise à référendum porte quasi nécessairement sur différents objets», analyse René Knüsel.
«La dynamique du parlement veut que pour obtenir une majorité, une loi doive satisfaire plusieurs pôles du parlement. Il y aura ainsi un amalgame de dispositions autour d’un sujet visant à obtenir l'adhésion de différents publics. Cela aboutit à des compromis beaucoup plus qu'à des consensus.» A la différence du consensus, le compromis implique en effet des concessions.
Il n'empêche, il y a des critères qui permettent d'évaluer, avec plus ou moins d'habileté, le caractère complexe d'un texte soumis au vote. A commencer par l'unité de la matière, une règle juridique qui doit être respectée pour les initiatives (art. 139 al. 3 de la Constitution): «Lorsqu’une initiative populaire ne respecte pas le principe de l’unité de la forme, celui de l’unité de la matière ou les règles impératives du droit international, l’Assemblée fédérale la déclare totalement ou partiellement nulle.» Avec cette définition:
En d'autres termes, si les différents aspects du texte ont des liens seulement indirects, l'unité de matière n'est pas respectée. Certains, à l'instar du conseiller aux Etats schaffhousois Thomas Minder, aimeraient étendre ce principe aux référendums. L'idée étant que sans unité de la matière, les lois soumises à référendum se retrouvent trop complexes, ce qui est au désavantage des citoyens. Le contre-argument consiste à affirmer que cela restreint les possibilités d'accord entre différentes sensibilités au parlement et que le rythme politique helvétique est déjà assez lent comme cela.
Mais la lecture juridique de cette question n'est pas la seule possible, ni la seule pertinente. «Le degré de complexité d'un objet a aussi à voir avec la communication», estime ainsi le politologue Oscar Mazzoleni. Il poursuit:
Le professeur de sciences politiques à l'UNIL prend l'exemple de la fameuse initiative sur l'immigration de masse en 2014, lancée par l'UDC et acceptée par le peuple. Jugée relativement simple, elle touchait pourtant à différents lois et thèmes: les travailleurs frontaliers, les immigrés, la relation Suisse-Europe, les réfugiés...
Et du compromis à la compromission d'un vote, il n'y a parfois qu'un pas. Le mot clé étant la capacité de compréhension des Suisses. «Les subtilités dans la construction des équilibres et des majorités se heurtent dans la plupart des cas à l’investissement de temps dont les citoyens ont besoin pour se faire un avis, et qu’ils n’ont malheureusement pas à disposition.» C’est l'un des facteurs qui poussent à l’abstentionnisme selon le Lausannois: le caractère touffu d’un objet, qui peut le rendre impénétrable.
«De manière générale, les constitutionnalistes admettent qu’on a souvent un cumul des oppositions», commente René Knüsel. «Ce cumul a tendance à signifier souvent des échecs de projets parce qu’ils sont jugés, de manière globale, insatisfaisants pour toute une série de minorités.» On a donc tendance à avoir des refus d’objets en votation, ce qui se vérifie dans les faits. D'autant que les minorités en question sont de plus en plus nombreuses dans nos sociétés où l'affirmation de soi par rapport aux autres prend de l'importance.
Mais ce qui est une faiblesse de notre système est aussi une force: «Les compromis font que le résultat n'est plus contestable par une majorité. Un retour en arrière est donc quasi impossible.» Des exceptions surviennent toutefois. C'est aussi ça, la beauté de la démocratie.