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Référendums Covid: Récolter des signatures serait-il devenu trop facile?

Dépôt du référendum contre la loi Covid-19, le jeudi 8 juillet 2021 à Berne.
Dépôt du premier référendum contre la loi Covid-19 par les Amis de la Constitution, le 8 juillet dernier à Berne.Image: Keystone
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Et si récolter des signatures était devenu trop facile?

La règle des 100 000 signatures pour l'aboutissement d'une initiative populaire remonte à 1891. Depuis, la population suisse a triplé. Faut-il modifier ce seuil?
15.07.2021, 05:5719.07.2021, 18:18
Jonas Follonier
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Sommes-nous en train de vivre le début d'une nouvelle ère dans la pratique de la démocratie à la suisse? L'exemple du moment est frappant. Les Amis de la Constitution ont obtenu beaucoup de signatures pour leurs deux référendums successifs contre la Loi Covid-19 et, paraît-il, relativement facilement. Près de 90 000 paraphes pour le premier référendum qui s'opposait à la loi d'urgence et, selon les référendaires, pas moins de 187 433 pour le second référendum qui s'oppose au certificat sanitaire, et qui est en cours de contrôle à la Chancellerie.

Rappelons que l'association, forte aujourd'hui d'environ 12 000 membres (7 000 de plus qu'il y a quatre mois), avait déjà rendu possible le référendum contre la nouvelle loi anti-terroriste en apportant leur soutien aux jeunes Verts, au Parti vert'libéral et au Parti pirate qui avaient lancé le référendum.

Le thème est mobilisateur et l'association compte sur des militants très actifs parmi leurs membres et sympathisants. Aussi, leur communication est très huilée, de leurs antennes régionales à leur mailing list en passant par leurs canaux de la messagerie Telegram. Mais au-delà de leur cas, n'y aurait-il pas un phénomène plus général à observer – et des explications à trouver dans la structure actuelle des droits populaires?

La population suisse a triplé, les seuils n'ont pas bougé

Si la présence de nombreuses votations, d'initiatives populaires de plus en plus acceptées et de démarches citoyennes qui se multiplient est une bonne nouvelle pour la démocratie (les droits civiques sont faits pour être utilisés), serait-il tout de même devenu trop facile de récolter des signatures pour qu'une initiative populaire ou un référendum soit soumis au vote?

À l'heure où la population suisse approche les 8,8 millions d'habitants, soit trois fois plus qu'à l'époque où le nombre de signatures – de 100 000 pour les initiatives et de 50 000 pour les référendums – a été déterminé, la question mérite d'être posée. Lukas Rühli, chercheur au groupe de réflexion libéral Avenir Suisse, souhaite changer les règles du jeu. Il est l'auteur avec Tibère Adler, ancien directeur romand du think tank, d'un papier sur le sujet paru en 2015. Sa position n'a pas changé depuis:

«Il serait évident d'ajuster le nombre de signatures requises selon le nombre d'électeurs. Il n'a été ajusté qu'une seule fois jusqu'à présent – pour l'introduction du droit de vote des femmes. Pour la population, en revanche, il n'y a jamais eu d'ajustement. En conséquence, aujourd'hui, seul 1,8% de l'électorat est nécessaire pour soumettre une initiative populaire. À la fin du 19e siècle, ce chiffre était encore supérieur à 8%»

Il y a également un aspect lié à l'époque que soulève Lukas Rühli: «La mobilisation est devenue plus facile grâce aux médias électroniques», le PDF et Internet étant passés par là. Même si les gestes barrière en vigueur en temps de pandémie posent sans doute des problèmes logistiques pour les mobilisations sur le terrain, la tendance générale est à la facilitation du démarchage.

La recette proposée par Avenir Suisse? Un seuil basé sur un quorum (un pourcentage des personnes ayant le droit de vote) et non plus sur un chiffre absolu. Le texte suggère un quorum de 4%. «Nous devrions aussi penser à introduire une initiative législative», ajoute le chercheur. «Jusqu'à présent, une initiative populaire a toujours concerné le niveau constitutionnel. Cela conduit à des situations insatisfaisantes. Des choses sont inscrites dans la constitution qui n'ont pas lieu d'être en raison de leur niveau de détail.» En outre:

«Une application plus robuste des critères d'invalidité pour les initiatives populaires serait souhaitable – et non pas par le Parlement (comme aujourd'hui), mais par un organe "neutre" tel que la Chancellerie fédérale»
Lukas Rühli

«50 000 signatures, ce n'est pas sans signification»

L'historien Philippe Bender, pourtant du même courant de pensée que notre premier interlocuteur, n'est pas du même avis. Pour lui, il s'agit d'abord de s'intéresser à la nature même des droits populaires pour comprendre les enjeux de cette discussion. «Un référendum a lieu quand une loi heurte une part de la population suffisamment importante pour être jugée significative», relève le Valaisan. Mais comment traduire en chiffres cette donnée politique? Tout l'enjeu est là.

Selon Philippe Bender, «50 000 signatures, encore maintenant, ce n’est pas sans signification, ni sans intérêt». Cela veut dire quelque chose des controverses qui animent l'époque. La même réflexion vaut pour l'initiative populaire, qui ne témoigne pas d'une loi qui heurte, mais d'un article que l'on souhaite porter, d'où les 50 000 signatures à récolter en plus. Au téléphone, Philippe Bender «souhaite résumer le problème en introduisant un élément républicain»:

«Si la récolte de signatures devenait particulièrement compliquée, elle deviendrait contraire à l'esprit des lois»

Ce clin d'œil à l'ouvrage de Montesquieu de la part du membre de la Constituante valaisanne sous l'étiquette «Valeurs libérales radicales» n'est pas anodin. Il traduit un attachement au libéralisme politique prôné par le philosophe français, qui a porté la Révolution française et la création de la Suisse moderne en 1848.

Or, «le référendum est conçu par les modernes comme étant hostile à la législation moderne», souligne l'historien de Fully. En termes plus politiques, c'est pour les conservateurs qu'a été introduit cet outil en 1874, lors de la première réforme de la Constitution suisse. L'idée étant que les cantons ruraux doivent avoir une possibilité de contester les lois du pouvoir central, à Berne, détenu alors par les radicaux, vainqueurs de la guerre civile du Sonderbund.

Pour un esprit libéral, c'est justement cette garantie de pluralisme, d'équilibre des sensibilités et de paix civile qui est indispensable. Tout comme l'est la règle de la double majorité pour les objets constitutionnels, voulant qu'ils soient acceptés par la majorité du peuple et celle des cantons, ce qui offre aux petits cantons, les «moins progressistes», la possibilité de contre-balancer les idées majoritaires. Au fond, Philippe Bender connaît trop la «géniale complexité» du système helvétique pour accepter l'idée qu'on l'altère, même un peu.

Une telle idée aurait peu de chance du côté des partis

Alors, une bonne proposition pour la qualité des votations ou un danger pour la nature de la démocratie? Même si cette réflexion est bienvenue, il faut bien voir qu'une modification à la hausse du nombre de signatures, un contrôle plus accru de la recevabilité des projets ou encore un encadrement plus strict de la mise en œuvre des objets acceptés sont des projets qui ont peu de chance d'être portés par des partis. Et ce pour deux raisons:

  • Les droits d'initiative et de référendum sont des moyens pour les partis politiques de renforcer leur visibilité avant les grandes échéances fédérales. Le PS et l'UDC, en particulier, ne s'en privent pas.
  • Vouloir mieux encadrer les droits civiques, ça peut tout de suite sonner anti-démocratique, voire méprisant envers le peuple. Ce qui, électoralement parlant, est aussi un grand problème.

Etant donné qu'aujourd'hui ce sont surtout les partis qui lancent ou soutiennent des initiatives populaires ou des référendums, il paraît raisonnable d'en conclure que la question ne sera pas abordée frontalement dans un avenir proche... Jusqu'à ce qu'on se rappelle que ces droits populaires ont été mis en place pour les citoyens. Si ce débat a lieu, il devra avoir pour condition la constitution d'un groupe hors partis aussi motivé que les Amis de la Constitution.

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