Faut-il déconstruire l’équilibre des langues au Conseil fédéral? Ce qu’une partie de la société expérimente avec le genre, doit-il être tenté avec le ratio entre germanophones et latins à l’exécutif suprême? Une convention non écrite, sinon ce fameux article 175 de la Constitution disposant que «Les diverses régions et les communautés linguistiques doivent être équitablement représentées au Conseil fédéral», veut que les premiers soient majoritaires au sein du collège gouvernemental et que les seconds y occupent au moins deux sièges, ce qui correspond globalement à la part des uns et des autres dans la population.
A l'approche de l’élection complémentaire qui désignera la remplaçante de Simonetta Sommaruga au Conseil fédéral, on déterre les derniers défauts qui pourraient faire trébucher l’une ou l’autre des deux candidates en lice sur le ticket socialiste: Eva Herzog et Elisabeth Baume-Schneider. A l’inverse, on cherche des qualités non encore trouvées chez elles qui pourraient les départager in extremis. N'est-on pas en train de faire diversion?
Mercredi, n’est-ce pas plutôt l’argument massue de la paix des langues, pour l’instant en stand-by, qui s’imposera à toute autre considération? Cette pendule qui ronronne au salon confédéral tiendra-t-elle le rôle de l’inconscient dictant sa volonté aux grands électeurs du Parlement? Cette fois-ci, direz-vous, ne dramatise-t-on pas une question, celle des appartenances linguistiques, qui serait devenue secondaire depuis que le monde est entré dans l’ère du fluide? Pas sûr.
En effet, la présence de quatre latins au Conseil fédéral, si d’aventure la Jurassienne Baume-Schneider était élue, passée l’émotion du minoritaire devenant majoritaire au sommet de l’Etat, pourrait se transformer en cadeau empoisonné. Un équilibre, basé sur le plus incontestable des critères, celui du nombre, serait rompu.
A quoi risquerions-nous alors d’assister? Imaginons-le:
Les latins n’ont été majoritaires au Conseil fédéral que très brièvement dans l’histoire de la Suisse moderne. «Cela se produisit entre 1917 et 1920. Le gouvernement compta alors deux Romands, un Tessinois et un Rhéto-romanche», rappelle le politologue René Knüsel. Et encore, le membre rhéto-romanche était-il plus latinophone ou plus germanophone?
Et puis, en admettant que l’Assemblée fédérale rompe mercredi la «formule linguistique» au profit des latins, qu’est-ce qui empêcherait l’avènement, un jour, dans peu de temps, d’un Conseil fédéral entièrement germanophone? Ce qu’une majorité accorde à sa minorité, elle est en mesure de le lui reprendre.
René Knüsel envisage un possible effet dominos:
S’il est un domaine insensible aux charmes de la fluidité, c’est bien celui des blocs linguistiques, les exceptions confirmant la règle. Ainsi, pas touche à la territorialité des langues! Ce principe régit l’appartenance d’une commune ou d’un groupement de localités à une aire administrative, elle-même adossée à une langue.
Le bancal, l'entre-deux, sauf s’il est lui-même la norme, tel à Bienne la bilingue, est cause de tracas identitaires. C’est la raison pour laquelle le Jura bernois, où il arrive que le suisse-allemand domine, a dernièrement créé le label «Grand Chasseral». De façon à ce qu’on ne doute pas de l’ancrage francophone de la région.
Etre minoritaire est un inconvénient qui peut avoir ses avantages. Paraître majoritaire alors qu'on est minoritaire risque d'en ôter.