Craignait-il la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire (CEP) pour faire la lumière sur des dysfonctionnements chez Ruag? Non, répond Jürg Rötheli lundi au siège de la société à Thoune:
Jürg Rötheli a pris la tête du conseil d'administration de Ruag, le groupe d'armement appartenant à la Confédération, en début d'année. Et le voilà déjà en pleine gestion de crise.
Il faut dire qu'il y a déjà beaucoup de dossiers sur la table. Et ils sont pour le moins épineux.
Cette semaine, il s'agit de trois rapports établis par le Contrôle fédéral des finances (CDF). «Ces révélations ne donnent pas une bonne image de notre entreprise», résume Rötheli
Le premier compte-rendu porte sur un cas de corruption présumée, à hauteur de dizaines de millions de francs. Le deuxième se penche sur la mauvaise gestion et administration des stocks de l'armée. Le troisième décortique la manière dont la surveillance de Ruag a été perçue.
Les soupçons de corruption concernent un ancien cadre. Selon le Contrôle des finances, il a conclu des accords douteux pour de vieux chars d'assaut provenant des Pays-Bas. Il aurait fait de fausses déclarations quant à la valeur du matériel acheté puis revendu. Le montant des dommages s'élève probablement à plus de 50 millions. Ruag a déposé des plaintes pénales contre son collaborateur et contre X.
Le deuxième rapport concerne les stocks de l'armée gérés par la société. Ruag utilise ce matériel pour la réparation et l'entretien de celui de l'armée. Le contrôle financier a constaté qu'entre 2014 et 2023, Ruag a procédé à «1140 mises au rebut et 1319 adaptations d'inventaire» sans demander l'autorisation de la base logistique de l'armée. Il est parallèlement reproché à cette dernière ainsi qu'à Armasuisse de ne pas avoir suffisamment assumé leur fonction de surveillance.
Le troisième rapport traite lui aussi de la surveillance, celle du Département de la défense (DDPS) de la conseillère fédérale Viola Amherd, qui représente les intérêts de la Confédération en tant que propriétaire de Ruag. Le CDF critique le fait que les procès-verbaux des discussions entre le secrétariat général du DDPS et Ruag ne mentionnent plus les «décisions et la gestion des affaires en suspens» après 2020. En outre, il faudrait examiner de manière plus critique si Ruag atteint les objectifs qui lui ont été fixés.
Le président de Ruag est déterminé à mettre en œuvre les réformes nécessaires. Il veut renforcer et systématiser le respect des règles et des directives en interne, ainsi que leur contrôle. Jürg Rötheli salue les rapports du CDF: «Ils décrivent la situation avec précision, et celle-ci n'est pas acceptable». Il ajoute être «ébranlé» par leur contenu.
Le dirigeant a invoqué les fréquents changements à la tête de Ruag. Et il a laissé entrevoir des mesures juridiques contre les employés fautifs, des changements de personnel ainsi qu'un contrôle externe des processus de conformité. Si des prélèvements non autorisés ont eu lieu dans la gestion des stocks, Ruag dédommagera entièrement l'armée.
Du côté de l'armée, le divisionnaire Rolf A. Siegenthaler, chef de la base logistique, l'a admis: «Nous avons aussi une responsabilité». Armasuisse et la base logistique ont certes demandé à consulter le programme d'inventaire de Ruag, mais elles ne l'ont jamais obtenu. La base n'aurait «pas suffisamment insisté».
En ce qui concerne les mises au rebut incontrôlées, Siegenthaler a présenté une liste. Elle contenait surtout du petit matériel comme des anneaux en caoutchouc ou des boulons. Rien qui ne permette d'en faire un gagne-pain grâce à de la revente, selon le divisionnaire. Les responsables n'ont toutefois pas pu communiquer la valeur totale de ce matériel.
Alors que le représentant de l'armée et le chef de Ruag ont jeté à la pierre à Viola Amherd, cette affaire pourrait réduire à néant son héritage de conseillère fédérale. Un lanceur d'alerte aurait notamment attiré l'attention du DDPS et de la ministre de la Défense sur de possibles agissements criminels des cadres de Ruag dès 2019. De quoi laisser la Haut-Valaisanne en mauvaise posture.
En plein marasme, la conseillère fédérale a réagi ce mardi, demandant que toute la lumière soit faite sur ces problèmes de gestion. Les rapports du Contrôle fédéral des finances (CDF) ont été établis à sa demande et sur mandat de la Délégation des finances des Chambres fédérales, rappelle la Valaisanne. Ils montrent «qu'il était juste d'ouvrir des enquêtes dès que les irrégularités concernant les chars Léopard 1 ont été connues».
À noter que le rapport intermédiaire d'une étude commandée par Ruag révèle par ailleurs des actes criminels remontant à 2015. La cheffe du DDPS n'était alors pas encore en fonction - c'était à l'époque l'UDC Ueli Maurer, qui a repris le département des Finances en 2016.
Et concernant le lanceur d'alerte, le secrétariat général du DDPS a immédiatement demandé une prise de position à Ruag. L'entreprise aurait alors indiqué «avoir enquêté sur l'accusation et celle-ci était infondée». Cela s'est avéré faux par la suite. On apprend enfin que le Conseil fédéral a décidé de réexaminer le régime juridique de Ruag.
Le projet de consultation devrait être prêt d'ici la fin de l'année.
(Adaptation française: Valentine Zenker)