Vous la connaissez peut-être: pourquoi le Conseil fédéral ne prépare-t-il jamais de salade de pommes de terre? Parce qu'il faut manipuler des patates chaudes.
Nous n'allons pas dresser un tableau exhaustif des affaires que le gouvernement national n'a pas réglées. Mais en voici deux, pour la forme:
Le courage ne fait pas partie des qualités principales du Conseil fédéral.
Toutefois, la présidente de la Confédération Viola Amherd, ainsi que les conseillers fédéraux Ignazio Cassis et Beat Jans, ont récemment plongé la Confédération dans une spectaculaire aventure. En janvier, ils ont promis au président ukrainien Volodymyr Zelensky d'organiser en Suisse un sommet pour la paix au plus haut niveau. La semaine passée, les invitations ont été envoyées à 160 pays: leurs chefs de gouvernement doivent se retrouver mi-juin au Bürgenstock (NW).
Ce sera un événement comme la Suisse n'en a plus connu depuis des décennies. Plus explosif sur le plan politique et plus serré dans le temps que tous les Forums de Davos. Les historiens citent en comparaison les accords de Genève de 1954. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Union soviétique et la Chine avaient alors négocié avec les parties impliquées dans la guerre d'Indochine, la France et le Viêt Minh.
La Confédération et les cantons concernés seront confrontés à d'énormes défis. La logistique, d'abord: les chefs d'Etat et leur entourage devront arriver toutes les minutes au Bürgenstock. Sur le plan de la sécurité: la police et l'armée vont assurer la sécurité de plus de 100 personnes protégées par le droit international public dont, peut-être, le président Biden. En matière de renseignements, finalement: il faut s'attendre à des cyberattaques de la Russie, à des campagnes de désinformation, à de l'espionnage et du contre-espionnage sur le sol suisse.
Sur le plan politique, les risques sont au moins aussi importants. Si la Chine n'est pas représentée et que de nombreux pays d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Asie se désistent, le sommet sera considéré comme un échec. Et il est loin d'être garanti que tous les pays participants parviennent à une déclaration finale. En attendant, la diplomatie suisse s'efforce depuis des mois de ne pas se laisser contrôler par Kiev, mais d'imposer un programme autonome. Elle semble y être parvenue jusqu'à présent. Mais la Chine et d'autres grands Etats du Sud continuent à s'interroger.
La Suisse s'est exposée.
On peut qualifier ce projet de naïf. Mais au regard des deux dernières années, c'est le minimum que la Confédération pouvait, et même devait, faire pour l'Ukraine. Pour rappel, les livraisons d'armes sont exclues par le droit de la neutralité. Le Conseil fédéral s'est même opposé à la transmission d'armes par des tiers. Et il ne veut pas dépenser un franc supplémentaire pour la reconstruction, l'argent devant être prélevé dans le budget dédié à la coopération au développement. En organisant le sommet sur l'Ukraine, la Suisse se recentre au moins sur l'une de ses compétences clés: les bons offices.
De plus, la Suisse devra dans tous les cas relever un grand nombre des défis mentionnés: se défendre contre les cyberattaques et les campagnes de propagande et se positionner en tant que petit Etat indépendant dans la lutte géopolitique entre les grandes puissances. Ce sommet sera donc un test en conditions réelles pour notre pays.
La présidente de la Confédération Viola Amherd et ses collègues se sont peut-être laissés emporter par l'énergie de Volodymyr Zelensky en janvier. Mais, pour une fois, on ne peut pas leur reprocher un manque de courage. Il est urgent de s'emparer de la patate chaude.
Traduit et adapté par Tanja Maeder