En décidant, mercredi, de déposer plainte pénale, le rectorat de l’Université de Genève (Unige) envoie un signal fort: à l’avenir, toute action visant à empêcher physiquement la tenue de cours ou de réunions ne dérogeant pas à l’esprit des lois, s’expose à des poursuites devant les tribunaux. Ironie du moment: il a fallu que la personne ciblée par des activistes soit une élue de l’UDC, le parti gouvernemental le plus à droite en Suisse, pour que l’institution universitaire, placée sous la tutelle d’une ministre cantonale de gauche, réaffirme les règles du vivre-ensemble démocratique.
Mais envoyer un signe ne suffit pas. Il faut dire ce qui ne va pas à l’université et y remédier. Une police idéologique, en l’occurrence d’extrême gauche (en d’autres temps, en d’autres lieux, elle aurait été d’extrême droite), émargeant au monde syndical étudiant ou avec son approbation plus ou moins tacite, s’est arrogé le droit de dire qui peut parler et ce qui peut être dit dans le domaine des sciences sociales, là où, effectivement et par définition, s’enracine le politique. C’est pourquoi il est bon que le pluralisme puisse se faire entendre à l’université et non pas un seul son de cloche.
Qui prend connaissance du communiqué publié mercredi après-midi par la CUAE, le syndicat étudiant de l’Unige puisant dans l'histoire de la gauche radicale, réalise qu’il lui en faut peu pour qualifier des individus dont le profil politique ne lui convient pas, au mieux, de réactionnaire, au pire, d’extrémiste de droite. Ce syndicat s’estime ensuite en droit, lui ou toute structure lui ressemblant idéologiquement, de mener ce qu’il appelle la «contestation politique» contre des événements ou des personnes, jugés contraires à ses valeurs. Il pense en quelque sorte agir comme un lanceur d’alerte. En suivant cette logique, tout, ou à peu près, est possible.
Parallèlement, qui se penche sur le communiqué du rectorat, paru le même jour, comprend que ce qui inquiète le plus la direction de l’université, c’est le poison de la censure et de l’autocensure, deux mots figurant dans son communiqué. Par «censure», il entend, déduit-on, toute manœuvre qui consisterait à interdire de parole et d’action des professeurs comme des étudiants, y compris ceux de la CUAE, qui ont le droit de penser ce qu'ils pensent.
Par «autocensure», cas de figure plus préoccupant encore, il désigne, déduit-on là aussi, ce poison que s’administrent aujourd’hui même des professeurs, voire des étudiants, qui craignent que leurs paroles, leurs écrits, les intitulés de leurs cours, de leurs travaux de séminaires, puissent faire l’objet d'un bad buzz ou d'une expédition punitive, comme en ont été victimes des conférenciers au printemps dernier. Des conférenciers qui n’avaient au demeurant rien d’extrémiste.
Ce n’est pas parce que l’Université de Genève, comme toute université sans doute aujourd’hui en Suisse, porte en elle des idées progressistes et a fait sienne l’écriture inclusive, qu’elle a nécessairement les mains liées par la gauche radicale, dite aussi woke. Dit autrement, ce positionnement qu’elle pense habile ne doit pas l’empêcher d’accorder des espaces de liberté académique à ceux qui ne pensent pas dans les clous de ce progrès-là. C’est ainsi qu’on préserve la liberté d’enseigner et le plaisir d’apprendre.