La campagne pour les élections fédérales de 2023, qui auront lieu dans un peu plus d’un an en octobre, est lancée dans la torpeur d’un été caniculaire et sur fond de guerre en Ukraine. En déclarant, dans une interview à Blick, son intention de lancer, dès cet automne, une initiative populaire pour réaffirmer l’ancrage de la Suisse dans la neutralité, le patriarche de la droite libérale-souverainiste joue placé, comme on dit aux courses de chevaux. Sans doute Christoph Blocher entend-il faire de la neutralité l’un des thèmes électoraux majeurs de l’année prochaine. De sa part, c’est à la fois habile et attendu.
Nous ne savons pas où la guerre «sur le front de l’Est» en sera en 2023. Si elle n’a pas pris fin d’ici là, si elle devait, d’une manière ou d’une autre, s’élargir à l’Ouest de l’Europe, un fort besoin de protection pourrait se manifester en Suisse, pouvant prendre la forme d’un repli et d’un retour marqué aux «fondamentaux» de la neutralité. Soit, dans l’esprit de Christoph Blocher, une stricte mise à distance des belligérants. D’où sa proposition de ne pas s’associer à des sanctions économiques visant l’une ou l’autre des parties en conflit, ici, la Russie.
L’ex-conseiller fédéral de l’UDC s’inscrit dans la tradition de la neutralité armée, censée garantir la défense et l'indépendance de la Suisse. Une armée «totale» qui coûte cher et dont le milliard supplémentaire qui lui sera progressivement alloué pourrait n’être qu’un avant-goût d’un plus grand effort budgétaire encore.
Il y a dans la neutralité suisse un aspect religieux. On communie autour d’elle et en son nom. Conjoncturelle en Suède et en Finlande, qui ont décidé de l’abandonner pour rejoindre l’Otan, elle est chez nous structurelle, identitaire. Aucun parti ne la rejette, pas même les plus disposés à nouer des alliances avec l’Otan sous quelque forme que ce soit, entre autres le PS et Le Centre. Ce serait «unschweizerisch» de leur part.
Mais cette neutralité cocon – et armée – est-elle encore possible, si elle a jamais existé autrement que par délégation de compétences des «puissances», si l'on peut dire? Comme l’expliquait en mars à watson l’historien de la politique suisse Olivier Meuwly, de sensibilité radicale, de la même manière que l’Allemagne nazie a en quelque sorte imposé à la Suisse sa neutralité entre 1939 et 1945 – dans l’intérêt de la Suisse comme dans celui de l’Allemagne –, c’est l’Europe démocratique, intégrée à l’Otan, qui a imposé à la Confédération les sanctions appliquées à la Russie. Des sanctions qu’elle aurait eu beaucoup de peine à ne pas adopter, sauf à risquer des mesures de rétorsion de la part de ses principaux partenaires et amis.
Aussi peut-on s’attendre à ce que l’initiative de Blocher sur la neutralité, si elle est jugée valide, mais quand bien même ne le serait-elle pas, rapporte des voix à l’UDC aux élections fédérales de 2023. Sans que cela change grand-chose à l’ancrage de la Suisse dans un système d’alliance militaire occidentale. Il y a la neutralité qu'on se raconte et il y a la neutralité qu'on peut.