Je ne sais pas si c’est bien prudent de le dire, je trouve qu’Ignazio Cassis a la classe. La classe italienne. Celle de la bourgeoisie, évidemment. Classique, avec dans l’œil ce petit «eh!» charmeur qui fait la différence. «Eh!, elle te plaît la nouvelle photo du Conseil fédéral? C’est moi qui l’ai choisie.»
Comme chaque année à la même date, à l’occasion du changement de présidence, le nouveau titulaire du poste s’autorise une fantaisie qui porte sa patte: la photo du gouvernement. Dis-moi comment, toi et tes collègues, vous posez, je te dirai qui tu es.
Pour ma part, je la trouve très réussie. Stefano Spinelli, le photographe désigné par Ignazio Cassis, l’un et l’autre tessinois, signe là une belle pochette pop. J’en ferai bien mon CD ou 33 tours. Tout, la pose, donc, le rose, vintage, bien sûr, le statique de la carte suisse, tout cela ne demande qu’à tourner comme le plateau en bois d’un manège repeint à neuf une fois par an.
Chacun verra midi à sa porte de garage, mais, côté esthétique et pour rester dans le thème, j’y vois et j’entends (c’est dingue) Guns N’ Roses, Nirvana, Blur et Oasis, Air, Pharrell Williams et Stromae. Des choses à la fois sucrées et trempées dans le scotch. Vraiment, Ignazio Cassis nous surprend, avec sa photo des sept sages prêts à faire des folies sur le dancefloor.
Oui, ça change et ça tranche avec les clichés de ses prédécesseurs. Jusqu’ici, tout était verticalité, le premier plan (le Conseil fédéral in corpore) comme le second (le décor). On était devant le château de Chillon. Là, on est à Rome sous le plafond de la chapelle Sixtine, mais vu d’en haut (chacun visualise?): des personnages photographiés en contre-plongée, les pieds posés sur le sol, la tête tournée vers le ciel. Et comment que ça change!
La symbolique, ensuite. Ce sol, justement, reproduisant les lignes CFF qui nous relient d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Et puis cette horloge ferroviaire, suspendue dans le coin supérieur droit. Elle signale, non pas l’heure du crime, mais celle de la naissance de la Suisse moderne, comme l’a repéré un twitto perspicace: les aiguilles indiquent 18h48, autrement dit l’année 1848 ; la trotteuse, 22 secondes, soit 2022 qui commence.
A l’aube d’une nouvelle rotation annuelle, la référence à 1848 renvoie certes à l’Etat radical, mais plus encore peut-être, à la raison, à la science, à ces notions et valeurs de progrès qui se sont imposées face au conservatisme et aux superstitions, réapparus à la faveur de la pandémie. Telles des sentinelles, les ministres sont en leurs cantons respectifs, réaffirmant ainsi le fédéralisme de la Suisse. Au premier plan, Ignazio Cassis, notre boussole en 2022. Tout au Sud. Eh!