Les persécutions subies par les Yéniches et Manouches/Sintés en Suisse dans le cadre du programme «Oeuvre des enfants de la grand-route» au XXe siècle doivent être qualifiées de «crime contre l'humanité», selon le Conseil fédéral.
La fondation Pro Juventute, à l'origine du programme, a retiré entre 1926 et 1973 quelque 2000 enfants aux gens du voyage et déchiré les familles. Des organisations représentant ces communautés ont demandé en janvier 2024 à la Confédération de qualifier ces actes de «génocide culturel».
Au vu de la gravité des accusations, le Département fédéral de l'Intérieur (DFI) a demandé un avis de droit à un professeur de l'Université de Zurich, a-t-il rappelé jeudi dans un communiqué. L'avis de droit conclut que les enlèvements d'enfants ainsi que la volonté de briser les liens familiaux afin d'éliminer le mode de vie nomade et d'assimiler les Yéniches et les Manouches/Sintés doivent être qualifiés de «crimes contre l'humanité» selon les critères du droit international public.
L'Etat a été coresponsable des faits commis. Sans sa participation à tous les échelons (Confédération, cantons et communes), la persécution des Yéniches et des Manouches/Sintés n'aurait pas été possible. La Confédération a notamment entretenu des rapports étroits avec la fondation Pro Juventute.
Toutefois, selon l'avis de droit, on ne peut pas parler de «génocide culturel» (anéantissement de l'existence culturelle) d'un point de vue juridique. On ne peut pas parler non plus de «génocide» au sens le plus strict, puisqu'on n'observe pas l'«intention génocidaire» (intention d'anéantir physiquement ou biologiquement des êtres humains).
Le Conseil fédéral a adressé une lettre à la communauté des Yéniches et des Manouches/Sintés. Il réitère les excuses déjà exprimées à l'encontre des victimes de mesures de coercition à des fins d'assistance et de placements extrafamiliaux.
Pour la ministre de l'intérieur Elisabeth Baume-Schneider, il ne faut pas oublier les injustices commises. Le DFI, en collaboration avec les personnes concernées, va déterminer d'ici la fin de l'année s'il y a lieu d'élargir le travail de mémoire déjà effectué, au-delà des mesures prises jusque-là.
Les associations qui défendent les gens du voyage en Suisse ont bien accueilli la reconnaissance d'un crime contre l'humanité. Elles veulent désormais avancer sur la question des aires d'accueil.
«Cette étape est merveilleuse et ouvre des portes longtemps fermées», déclare Isabella Huser, écrivaine yéniche membre de la Commission fédérale contre le racisme. Pour les Yéniches, il s'agit d'une reconnaissance adéquate de leur histoire et d'une confrontation avec ce pan de l'histoire suisse, ajoute-t-elle, tout en saluant la «nouvelle base constructive» dans le dialogue avec la Confédération.
L'écrivaine espère également des avancées sur les aires d'accueil pour les gens du voyage en Suisse. L'association de défense des gens du voyage suisses (DGDVS) salue aussi cette avancée. «C'est un point important», déclare son président Stève Gerzner.
Mais la Suisse doit, à ses yeux, faire davantage pour préserver la culture des gens du voyage suisses. «Beaucoup a été fait pour les communautés étrangères, mais très peu pour les Yéniches et les Manouches», précise-t-il. Le représentant de l'association appelle la Suisse à créer des places d'accueil pour ces communautés en guise de réparation.
L'avis de droit commandé par le Conseil fédéral va dans la bonne direction, a pour sa part indiqué la faîtière des Yéniches et Sinti en Suisse. (ag/ats)