Suisse
Crime

Le Gambien Ousman Sonko accuse la Suisse de l'avoir torturé

Les victimes de la dictature gambienne se rassemblent devant le Tribunal pénal fédéral.
Des victimes de la dictature gambienne se sont rassemblées devant le Tribunal pénal fédéral.

Cet ex-ministre gambien accuse la Suisse de l'avoir torturé

Jugé pour crimes contre l'humanité en Suisse, Ousman Sonko, l'ancien ministre de l'Intérieur de la Gambie, considère être lui-même traité de manière inhumaine par la Confédération.
09.01.2024, 19:0010.01.2024, 12:44
Andreas Maurer, Bellinzone / ch media
Plus de «Suisse»

Ousman Sonko, l'ancien ministre de l'Intérieur de Gambie, est habillé comme s'il était en visite d'Etat en Suisse. Il porte un costume bleu foncé et une chemise blanche – seule manque la cravate. Mais derrière lui, deux policiers ne le quittent pas des yeux. Ils l'ont conduit de la prison à la salle d'audience.

Le procès au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone constitue une première internationale. C'est la première fois qu'un ex-ministre étranger comparaît devant un tribunal national d'un autre Etat. Le Ministère public de la Confédération l'accuse d'être un criminel de droit international.

Ousman Sonko
L'accusé Ousman Sonko, ancien ministre de l'Intérieur de Gambie.

L'homme de 55 ans aurait perpétré des crimes contre l'humanité pendant la dictature en Gambie de 2000 à 2016. Il aurait commis des meurtres, des viols et des tortures. Parfois seul, mais le plus souvent en tant que commandant d'une unité de police qui réprimait l'opposition. Il a ensuite demandé l'asile en Suisse.

L'acte d'accusation contient des détails sordides. Il décrit comment Ousman Sonko a enfermé et violé à plusieurs reprises une veuve d'un opposant assassiné. Ou comment ses hommes ont torturé, dans le quartier général de la police, le rédacteur en chef d'un journal critique en lui administrant des chocs électriques sur les parties génitales.

De tortionnaire à victime

Mais au premier jour du procès, qui durera trois semaines, c'est un tout autre problème qui est abordé: un sandwich végétarien et une pomme. Cette collation a été donnée à Ousman Sonko en Suisse lors d'un interrogatoire. Il s'agirait de la seule nourriture qu'il a reçue pendant 33 heures. L'ancien ministre gambien se considère comme victime de torture: la Suisse le punirait en le privant de nourriture.

Lors de sa première apparition devant le tribunal, son avocat de la défense a présenté la Gambie comme un Etat de droit et la Suisse comme un Etat de non-droit. En effet, Ousman Sonko serait en détention préventive depuis sept ans dans le canton de Berne, bien que la présomption d'innocence s'applique.

Au cours des 19 premiers mois, Ousman Sonko a été enfermé seul dans sa cellule 23 heures par jour. Pourtant, l'isolement n'est autorisé que pendant deux semaines. Une durée plus longue est considérée comme inhumaine. Récemment, un tribunal zurichois a confirmé ce principe avec le cas de Brian. Ousman Sonko demande des indemnités de détention de 800 000 francs.

La première année, sa cellule ne disposait en outre que d'une fenêtre en hauteur avec une vitre opaque. Il n'a donc pas vu la lumière du jour. Il n'a pas non plus bénéficié de promenades régulières à l'air libre.

Sa santé en aurait été gravement affectée. «Mon client a souffert de lésions oculaires qui, selon les médecins, étaient une conséquence directe de ses conditions de détention», déplore son avocat, Me Philippe Currat. Selon lui, un œil s'est rétabli, mais l'autre est irréversiblement endommagé. Sa conclusion:

«La qualification de torture et de traitement inhumain s'applique aux conditions de détention de Monsieur Sonko»

La procureure fédérale Sabrina Beyeler rétorque qu'il s'agissait d'une vitre en verre dépoli, pour protéger Ousman Sonko. Il est également faux de dire qu'il n'avait pas le droit de se promener. «Mais il n'a pas toujours accepté cette offre», dit-elle. Lors des interrogatoires, lorsqu'elle lui demandait comment il allait, il répondait toujours: «Jusqu'ici tout va bien». De plus, il n'aurait pas délié son médecin du secret médical, raison pour laquelle le Ministère public de la Confédération n'a pas pu enquêter sur les faits reprochés.

Allan Gerard Sserwanga, à gauche, avocat de l'équipe de défense et Olimatou Sonko, avocate et fille de l'ancien ministre gambien Ousman Sonko, devant le Tribunal pénal fédéral de Suisse à Be ...
Allan Gerard Sserwanga, à gauche, avocat de l'équipe de défense et Olimatou Sonko, avocate et fille de l'ancien ministre gambien Ousman Sonko, devant le Tribunal pénal fédéral de Suisse à Bellinzona, Suisse, avant le début du procès contre Ousman Sonko, lundi 8 janvier 2024.Image: KEYSTONE/TI-PRESS

La Suisse en tant que juge universel

Mais la Suisse est-elle vraiment compétente pour l'affaire Sonko? Non, selon l'avocat de la défense. Face au Tribunal, il lance:

«Monsieur le président, Madame et Monsieur les juges, relisez peut-être l'article 1 de la Constitution fédérale, qui nous donne la liste des cantons qui constituent la Confédération suisse. Sans surprise, vous n'y trouverez aucune mention de la Gambie.»

Depuis 2011, le Ministère public de la Confédération est compétent pour juger les crimes contre l'humanité. La Suisse a signé un accord de l'ONU visant à garantir que les criminels de droit international ne puissent se cacher nulle part.

Toutefois, le Parlement a rejeté une demande de compétence rétroactive. Malgré cela, le Ministère public de la Confédération demande des comptes à Ousman Sonko pour ses actes antérieurs à 2011. Car avec la nouvelle loi, ces actes pourraient être déclarés imprescriptibles. Cela s'appliquerait à tous les crimes qui, comme dans le cas de l'ancien ministre gambien, n'étaient pas encore prescrits en 2011.

L'avocat de la défense n'est évidemment pas de cet avis. L'affaire Sonko permettra de clarifier pour la première fois cette question et fera ainsi office de référence pour les futurs procès pénaux.

La situation en Gambie: enfer ou paradis?

Du point de vue d'Ousman Sonko, la Suisse n'est pas compétente pour une autre raison: en Gambie, il n'y a pas eu d'attaque systématique contre la population civile. C'est une condition préalable aux crimes contre l'humanité.

Par ailleurs, à l'époque des faits, la Suisse vantait la Gambie comme un paradis touristique. En tant que ministre, Ousman Sonko a travaillé en étroite collaboration avec la Suisse et y a rencontré personnellement à plusieurs reprises le directeur de l'Office fédéral des migrations de l'époque.

«La Suisse se serait-elle engagée dans une telle collaboration si elle s'était ainsi rendue complice de crimes contre l'humanité?»
L'avocat de la défense.

Durant cette même période, la Suisse aurait renvoyé dans leur pays d'origine plus de 300 Gambiens se présentant comme des opposants politiques, des journalistes ou des membres de la communauté LGBTQIA+. A l'époque, la Suisse niait une attaque systématique contre la population civile. Aujourd'hui, elle l'affirme.

Il serait réducteur que les médias et le tribunal décrivent les conditions de l'époque comme noires et catastrophiques, selon Me Philippe Curat.

«La situation en Gambie, comme souvent et comme partout, est bien plus complexe que cela»

Au cours de la procédure préliminaire, Ousman Sonko a déposé 41 recours. Un seul a abouti. Il en sera probablement de même pour ses questions préliminaires, autour desquelles s'ouvre le procès. Elles indiquent la direction que prendra le procès dans les semaines à venir.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

Parce qu'elle est partout, voici des images générées par IA
1 / 13
Parce qu'elle est partout, voici des images générées par IA
Un Trump généré par l'IA, en pleine séance d'Ayahuasca dans la jungle.
source: reddit
partager sur Facebookpartager sur X
Ce passager impatient fait rire les Internets
Video: watson
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Les Suisses peuvent se prononcer pour légaliser le cannabis
Une initiative citoyenne propose de légaliser la possession, la culture et la vente de cannabis en Suisse. Elle nécessite 100 000 signatures d'ici octobre 2025.

La possession, la culture et la vente de cannabis à un taux limité de THC devraient être libéralisées en Suisse. Un comité citoyen a lancé une initiative populaire en ce sens, annonce mardi la Chancellerie fédérale.

L’article