Brian Keller se tient dans sa cellule de la prison de Zurich et boxe en l'air, les yeux plissés. Des perles de sueur luisent sur son biceps. Un haut-parleur diffuse du rap. De temps en temps, le jeune homme de 28 ans reçoit la visite d'autres détenus. Ils font les fous, Brian regarde la caméra et ricane. Un autre détenu se roule une clope.
Ce sont des scènes du quotidien carcéral de Brian qu'il publie sur la plateforme Tiktok. Et ces courtes vidéos suscitent un intérêt croissant. Presque chaque jour, il publie une nouvelle vidéo de sa vie carcérale et chacune d'entre elle obtient des dizaines, parfois des centaines de milliers de vues. La plus visionnée compte même 1,4 million de clics.
Brian est devenu célèbre, il y a dix ans, sous le pseudonyme de «Carlos». Les autorités voulaient le remettre sur le droit chemin en lui proposant un placement spécial. Le programme a connu ses premiers succès, mais le gouvernement zurichois a décidé de l'interrompre à la suite des critiques des médias. Plus tard, le jeune homme a récidivé.
Depuis sept ans, Brian est incarcéré dans différentes prisons. Actuellement, il est en détention provisoire à celle du district de Zurich. Si le jeune homme s'en est auparavant pris à plusieurs surveillants de prison, ici, il est plutôt calme. Un changement d'attitude qui pourrait s'expliquer par le fait que Brian bénéficie de nouveau d'une sorte de traitement spécial. Ses activités sur les réseaux sociaux montrent qu'il jouit de plus de liberté qu'il n'en a le droit.
Le cas de Brian en dit long sur le système pénitentiaire. Celui-ci doit faire ses preuves dans la gestion des cas les plus difficiles. En Suisse, les téléphones portables ne sont pas autorisés dans les établissements pénitentiaires fermés. En détention provisoire, il s'agit d'isoler les détenus du monde extérieur. Tous les contacts doivent donc être contrôlés.
La détention provisoire peut signifier être enfermé dans une cellule 23 heures par jour. Si ce régime était, autrefois, la norme, il est aujourd'hui critiqué. Des réformes sont par ailleurs en cours dans les cantons de Zurich et de Berne. Aujourd'hui, les cellules sont ouvertes pendant la journée et les détenus bénéficient d'une plus grande liberté de mouvement. Mais cela crée aussi plus de possibilités de faire passer des objets de contrebande.
Jérôme Endrass est directeur adjoint de l'administration pénitentiaire zurichoise. Il explique notamment que «les téléphones portables sont la marchandise la plus souvent introduite en contrebande dans les prisons du monde entier»
Des inspections quotidiennes des cellules sans soupçons fondés ne seraient par exemple pas autorisées, selon lui. Par ailleurs, il n'est pas interdit de poster sur les réseaux sociaux; seulement de posséder un téléphone portable. Il dément un nouveau régime spécial dans le cas de Brian.
Thomas Manhart a dirigé l'exécution des peines zurichoise jusqu'à il y a quatre ans. Sous son égide, «l'affaire Brian» a dégénéré. En manque de solutions face à son comportement destructeur, les surveillants ont laissé le détenu dormir des jours durant sur le sol, sans couverture ni matelas, ligoté et vêtu uniquement d'une cape en papier. Un hébergement inhumain pour lequel Thomas Manhart s'excuse.
Bien que l'ancien fonctionnaire n'est plus censé s'exprimer sur l'affaire, il le fait quand même, car la politique de communication de Jacqueline Fehr, directrice de la justice, ne le convainc pas. La consigne concernant le cas de Brian est de limiter au maximum sa communication avec l'extérieur afin qu'il retrouve le calme. Mais cela n'empêche pas le jeune homme d'être actif sur les réseaux sociaux. Selon Thomas Manhart, la stratégie des autorités est défaillante.
L'ancien directeur suppose que les autorités zurichoises tolèrent les violations du règlement afin d'éviter des escalades inutiles comme il y en a eu par le passé. S'il le voulait vraiment, «le personnel pénitentiaire très professionnel» pourrait mettre une fin immédiate à ces activités sur les réseaux sociaux, par exemple en effectuant des contrôles quotidiens.
Comme Brian est incarcéré depuis bien plus longtemps que d'autres détenus condamnés pour des motifs similaires, certains «privilèges» à son égard seraient justifiés. Thomas Manhart comprend pourquoi les autorités ont fait fi de certaines règles.
Et pourtant, il y voit un problème: «Une telle attitude de laissez-faire est difficile à adopter dans l'exécution des peines et n'est pas facile à communiquer du point de vue de l'égalité de traitement de tous les détenus.» De nombreux employés risquent également de se sentir désavoués dans leur travail.
Benjamin Brägger est expert en matière d'exécution des peines et occupait jusqu'à récemment le poste de secrétaire du concordat sur l'exécution des peines du nord-ouest et de la Suisse centrale, il assure:
Selon lui, le régime de détention était, autrefois, beaucoup trop strict. «Aujourd'hui, le balancier va dans l'autre sens. Il est maintenant beaucoup trop libéral»
«Si, dans une prison préventive, il n'est pas possible d'empêcher la possession de téléphones portables par des contrôles systématiques, cela s'apparente à une capitulation», dénonce Benjamin Brägger. Il ne serait alors plus possible non plus d'empêcher la possession d'armes et de drogues. Les détenus pourraient, en outre, utiliser les téléphones portables pour enregistrer les installations de sécurité et communiquer avec l'extérieur afin d'organiser des libérations de prisonniers.
Benjamin Brägger déclare: «Dans un autre canton, la politique interviendrait sans doute. Mais à Zurich, les règles semblent être différentes.»
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder