Souriez, vous êtes filmés. Caméras de sécurité, smartphones, ordinateurs, les dispositifs de surveillance se multiplient autour de nous. Encore cette semaine, la police zurichoise a annoncé qu'elle allait équiper ses patrouilles de caméras enregistrant des images en permanence, par séquences de deux minutes. De son côté, Tesla a décidé d'activer la caméra de ses véhicules pour vérifier que le conducteur restait bien attentif.
Dans le même temps, Coop explique être en train de moderniser ses scanners «Passabene» en les remplaçant par de nouveaux appareils dotés d'un micro et d'une caméra. Le premier permet de répondre rapidement aux questions des clients, tandis que la seconde sert à collecter des données sur les produits, explique Zebra, le fabricant des scanners, dans le Blick. «Il n'est actuellement pas prévu d'utiliser ces fonctions», précise toutefois le porte-parole de chez Coop.
«Si c'est dans le matériel, c'est pour être utilisé. C'est clair que ces fonctions seront activées à un moment ou à un autre», rétorque Cédric Jeanneret, fondateur d'Ethack.org, une association de défense des droits numériques des Suisses. Si le collectif n'est aujourd'hui plus actif, le développeur informatique reste pourtant préoccupé par le sujet de manière générale.
À ses yeux, c'est bel et bien notre vie privée qui est mise en danger par la multiplication des dispositifs de surveillance. «Ces technologies ne vont pas dans le bon sens. On rogne, on rogne et, au final, c'est notre intimité qui va disparaître», affirme-t-il tout en reconnaissant qu'en Suisse, les acteurs privés ou publics qui mettent en place des caméras de surveillance ne cherchent pas forcément à nous surveiller.
«Cela ne part pas d'un mauvais sentiment, le problème, c'est tout ce qui concerne le traitement et le stockage des données récoltées. Chaque mois, on a une fuite massive», détaille-t-il. Selon lui, le micro est encore plus problématique que la caméra de ce point de vue-là: «Potentiellement, il y a plus d'informations qui peuvent transpirer d'une conversation que d'une image.»
Juriste spécialisé en droit des technologies, François Charlet précise tout d'abord que la loi suisse nous protège dans une certaine mesure. Coop, par exemple, devra nous informer individuellement, avant d'activer micros et caméras sur ses scanners. Reste à savoir qui va lire les conditions générales avant de faire ses courses.
De manière plus générale, il confirme l'analyse de Cédric Jeanneret: «On est en train d'échanger notre vie privée contre d'autres choses, notamment une impression de sécurité.» Et selon lui, la réponse habituelle consistant à dire qu'on n'a rien à cacher, est un mauvais argument. «Qu'on soit criminel ou pas, quand on est surveillé, on ne se comporte pas de la même manière.»
Le fait de n'avoir rien à se reprocher est effectivement le sentiment qui revient le plus régulièrement chez les personnes interrogées par Nicolas Nova, sociologue du numérique à la HEAD Genève. «On a peut-être rien à cacher face à l'Etat mais si les données sont volées, rien ne dit que quelqu'un d'autre ne va pas les utiliser à mauvais escient», nuance-t-il toutefois.
Le spécialiste souligne le flou régnant autour de ces dispositifs de surveillance et les craintes que cela génère au sein de la population. «On ne sait pas vraiment quels sont les risques avérés, mais on sent bien que certains peuvent apparaître avec cette captation généralisée des données». D'après lui, le Covid a montré comment des situations de crises peuvent amener des volontés de surveillance de la part des autorités.
Face au changement en cours, Nicolas Nova invite à ralentir le mouvement et à s'interroger sur les avantages et les inconvénients de ces technologies. «Il faut réfléchir comment ce déploiement pourrait se faire de manière plus démocratique. Car, pour le moment, les utilisateurs ont l'impression de le subir sans aucun contrôle.»
Pour retrouver de la maîtrise, Cédric Jeanneret souligne, de son côté, l'importance pour les Suisses de s'intéresser à la question. «C'est un devoir citoyen de s'inquiéter de ce sujet, cela fait partie de nos droits d'avoir une vie privée.»