Alors comme ça, Fabien Fivaz, vous trouvez que Philippe Nantermod «est malheureusement assez bon en débat»? «Oui, il est plutôt bon! Mais Philippe a coupé ma phrase au montage, parce que je précisais qu'il est constamment sur Infrarouge.» Soyons honnêtes, l'écologiste neuchâtelois lui a aussi balancé quelques vacheries, qualifiant la star du PLR d'«arrogant» et de «pénible». Rien de fou: ces «défauts» font quasiment partie de l'ADN public de l'élu valaisan.
Le député vert s'étonne un peu qu'on l'attrape au bout du fil pour si peu. Mais il apparaît tout de même dans une vidéo officielle, en l'honneur d'un ennemi politique, qui plus est en pleine campagne pour les élections fédérales.
On rembobine?
Lundi, jour de rentrée, Philippe Nantermod publie une capsule dans laquelle il tend le micro à une demi-douzaine de ses collègues du Conseil national. Objectif de la manœuvre: dire du mal de lui. On y trouve notamment le PLR Christian Lüscher, l'UDC Céline Amaudruz ou le Centre Vincent Maître, mais aussi (et c'est plus surprenant) des élus de gauche. Nantermod est ainsi «exagérément droitier» pour Pierre-Yves Maillard, «agressif» selon le socialiste neuchâtelois Baptiste Hurni.
Qu'est-ce qui leur a pris de prêter leur image et leurs mots à la campagne d'un adversaire qui vise le Conseil des Etats?
Après quelques coups de fil, on comprend qu'on n'a pas affaire à une production hollywoodienne pensée depuis plusieurs semaines et que les «victimes» ont été attrapées par la manche dans les dédales du Palais fédéral. La surprise empêche évidemment toute décision réfléchie. Le socialiste Pierre-Yves Maillard, qui n'avait pas encore jeté un œil au résultat final, nous assure qu'il «pense» tout ce qui a été diffusé, notamment que le principal intéressé serait «exagérément droitier», mais «capable de progresser».
Une gifle et une caresse, c'est plutôt bon joueur. «Philippe Nantermod m'a demandé de le décrire en trois adjectifs, ce que j'ai fait avec honnêteté», nous dit l'élu vaudois, qui va soutenir la Valaisanne Aferdita Bogiqi pour le Conseil des Etats.
Mais comme pour Fabien Fivaz, tout n'a évidemment pas été conservé dans le produit fini. «Je disais aussi qu'il ne fallait pas voter pour lui, mais il a coupé cette phrase au montage.»
En vérité, le député-producteur-vidéaste n'a pas bricolé tout seul dans son coin. Une boîte de comm' romande, «qui est vraiment très bien», nous dit-il depuis le kit mains libres de sa voiture, travaille soigneusement à sa publicité sur les réseaux sociaux.
Tous les comédiens de ce (très) court métrage évoquent en revanche l'humour et la spontanéité qui se dégage de cette initiative. Ce n'est pas un scoop, entre deux passes d'armes dans l'hémicycle ou les médias, les parlementaires sont des colocataires qui collaborent et s'entendent plus ou moins bien.«En politique fédérale, on vit ensemble pendant quatre ans. Au-delà des couleurs politiques, il faut pouvoir collaborer. Et il y a évidemment des amitiés qui peuvent naître.»
Jusqu'à promouvoir la campagne de l'adversaire?
Sur Twitter, la vidéo n'a pas échappé aux critiques, certains internautes pointant «la politique des petits copains». Car Philippe Nantermod a bien joué son coup. Dans une ambiance qui se rapproche furieusement d'un «qui aime bien châtie bien», ce ton décontracté rend le féroce politicien valaisan humble et plutôt sympathique. «Je dois aussi vous avouer que l'idée n'a pas du tout passé chez nos amis alémaniques: ils ont tous refusé de m'envoyer des vacheries!»
Hormis Burger King et McDo qui ne résistent jamais à l'idée de se chamailler en public pour paraître cool, cette franche camaraderie politique (et publique) est une denrée rare hors de nos frontières. On peine par exemple à imaginer Sandrine Rousseau envoyer des coups inoffensifs dans la vidéo de campagne d'un Eric Ciotti, sans qu'une armée de communicants coupe court à cette douce spontanéité.
«C'est vrai qu'à l’étranger, les parlementaires ne comprennent pas notre manière de fonctionner. A l'Assemblée nationale, ils continuent de s'engueuler à la cafétéria!» Histoire d'enfoncer le clou dans le terroir, Fabien Fivaz nous quitte avec l'anecdote de la braderie de La T'Chaux où, entre les stands aux couleurs des partis, tous les élus tapent la discute comme de bons boyscouts.