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Cocaïne: la police a piégé un baron de la drogue caché en Suisse

La police pirate les barons de la drogue: l'un d'eux se cachait en Suisse

Des enquêteurs ont réussi à pirater la messagerie de criminels. 3000 profils d'utilisateurs étaient actifs en Suisse. Le premier cas est maintenant porté devant les tribunaux. Il donne un rare aperçu de l'univers des «narcos».
14.01.2023, 08:0014.01.2023, 13:14
Andreas Maurer / ch media
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Jose O. vivait à Bâle dans des conditions modestes. Il habitait dans un immeuble délabré derrière la Messeturm. Sur les boîtes aux lettres, les noms des habitants sont inscrits sur des bandes de ruban adhésif, chaque nouvelle couche recouvrant le nom du locataire précédent.

La porte principale est ouverte. Peut-être que quelqu'un a glissé une cale en dessous pour dissiper l'odeur de renfermé du couloir. Dans la cour intérieure, des boîtes de pizza traînent.

La Messeturm.
La Messeturm.wikipedia

Son style de vie faisait partie de sa couverture: Jose O. est présumé être l'un des barons de la drogue les plus influents jamais découverts en Suisse. Selon le ministère public bâlois, ce Colombien de 47 ans était en train de mettre sur pied son propre cartel de la drogue, nommé Medusa.

Une stature qui surprend même le tribunal

Il aurait été actif dans le trafic de cocaïne dans le monde entier et aurait entretenu des contacts personnels avec des cartellistes colombiens de haut niveau. Il aurait ainsi chatté avec un supposé agent de liaison du chef du clan del Golfo, le syndicat du crime le plus puissant de Colombie.

Jose O. aurait participé à l'achat de la cocaïne en Amérique latine, négocié les prix d'achat et participé à l'organisation de la livraison mondiale: par la route, par la mer et par les airs. Il aurait également effectué lui-même certains transports internationaux. Pour cela, il dirigeait deux entreprises de commerce de fruits et aurait caché le produit dans des ananas. Il bénéficie néanmoins de la présomption d'innocence.

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Le tribunal pénal du canton de Bâle-Ville.Image: KEYSTONE

Lundi, l'affaire sera jugée par le tribunal pénal de Bâle. Dans l'acte d'accusation, le ministère public exprime lui-même son étonnement de voir un potentiel grand criminel de ce calibre comparaître devant ce tribunal. D'habitude, la police n'attrape que les dealers dans la rue et parfois leurs commanditaires, tandis que la majeure partie de l'organisation qui se cache derrière reste généralement dans l'ombre.

La police a piraté un système réputé inviolable

Les enquêteurs doivent le succès de leur recherche à une opération policière internationale. Il y a deux ans, les autorités de poursuite pénale belges, françaises et néerlandaises ont piraté le système de chat Sky-ECC. Il s'agit d'un service qui fonctionne comme Whatsapp et qui était géré depuis les Etats-Unis et le Canada avec des serveurs en Europe.

Impossible à pirater? Capture d'écran datée de 2021 du site skyecc.com.
Impossible à pirater? Capture d'écran datée de 2021 du site skyecc.com.Image: dr

Cette entreprise vantait le fait que son service était impossible à pirater en raison d'une technologie de cryptage particulière. Mais cette sécurité avait un prix: un abonnement de six mois coûtait entre 900 et 2400 francs, selon le type de service. Un tel prix n'est justifiable qu'à des fins professionnelles. Et il n'y a qu'un seul business dans lequel la demande justifie de tels tarifs: le crime organisé.

En décryptant le système de discussion soi-disant impossible à pirater, les autorités ont pu avoir un aperçu des activités de 170 000 utilisateurs. La montagne de données est énorme: selon l'autorité policière européenne Europol, elle a intercepté un milliard de messages.

Bloquée par le FBI, aujourd'hui, la page d'accueil de skyecc.com ressemble à ceci.
Bloquée par le FBI, aujourd'hui, la page d'accueil de skyecc.com ressemble à ceci.Image: dr

L'Office fédéral de police (Fedpol) a eu accès aux données et les analyse en collaboration avec les polices cantonales. Interrogée, Fedpol donne, pour la première fois, un ordre de grandeur du nombre de personnes impliquées. Selon l'état actuel des connaissances, environ 3000 profils d'utilisateurs de Sky-ECC étaient actifs en Suisse. Un porte-parole de Fedpol précise:

«Les données de Sky-ECC nous donnent un aperçu approfondi de la criminalité organisée. L'un des nouveaux enseignements que l'on peut en tirer est à quel point les différents groupes sont étroitement liés au niveau international.»

L'acte d'accusation, dans l'affaire bâloise, illustre ce que cela signifie. Voici trois exemples du résumé des procès-verbaux des chats.

Les bavardages des barons de la cocaïne

  • Sky-ECC-Chat 31:

    Jose O. informe une personne non identifiée qu'il a fait changer 20 millions de pesos en dollars pour transporter 500 kilos de cocaïne par camion. Il n'est pas précisé d'où à où. Ce que l'on sait, en revanche, c'est comment ils comptent s'y prendre.
    Une entreprise du Costa Rica devrait livrer des ananas, des bananes et des avocats dans lesquels la cocaïne serait cachée. Parallèlement, du bois de chauffage et du charbon de bois seraient transportés, dans lesquels seraient dissimulés des produits chimiques permettant de transformer la cocaïne par la suite. Le chat indique que le transport a été effectué avec succès. La prochaine livraison est aussitôt discutée selon le même schéma.
  • Sky-ECC-Chat 18:

    Jose O. reçoit la nouvelle qu'un bateau a quitté la Colombie avec une tonne de cocaïne à bord. La marchandise, emballée dans des caisses, devrait être jetée dans l'océan Pacifique, récupérée plus tard par des plongeurs et transportée ensuite par de petits bateaux. Jose O. avait auparavant envoyé de l'argent à son interlocuteur par Western Union.
  • Sky-ECC-Chat 17:

    Jose O. échange des informations avec une personne inconnue sur les aéroports et les ports maritimes qui sont sous son contrôle. Le «chef de l'aéroport de Francfort» aurait reçu des pots-de-vin sous forme de prostituées et jusqu'à 200 000 euros par semaine. Jose O. fait savoir qu'il a un ami qui travaille dans le port de Hambourg, mais qui est également actif à Valence, au Havre et à Anvers.
    Les interlocuteurs ne discutent pas seulement de leurs affaires, mais aussi de leur vie privée. L'autre personne se vante de posséder un yacht de 50 mètres et ses propres jets, et s'étonne des conditions de vie de Jose O.. Celui-ci indique qu'il arrive à joindre les deux bouts avec 500 francs par mois. Actuellement, il est à court d'argent et a du mal à financer d'autres transports. Il est endetté et craint donc d'être tué. L'autre lui promet alors de le protéger. En l'espace de trois mois, ils ont discuté du transport de plus de cinq tonnes de cocaïne.

Sur la base de tels messages, le ministère public bâlois conclut que Jose O. a vendu 115 kilos de cocaïne pour plus de 8 millions de francs en sept ans et qu'il a participé, rien que l'année précédant son arrestation, à des transports internationaux de 9 tonnes de cocaïne pour une valeur de 600 millions de francs en vente dans la rue.

Jose O. aurait ainsi pu mettre de côté des sommes importantes pour lui et sa famille en Espagne et en Colombie et s'acheter une villa à Majorque. Mais comme mentionné dans le chat, Jose O. n'a pas réussi à mener une vie luxueuse, même avec sa carrière criminelle fulgurante. Il s'est, au contraire, retrouvé en partie dans une situation financière précaire. Les fluctuations de son activité en sont une des raisons.

Les bons jours, il aurait encaissé entre 10 000 et 50 000 francs. Malgré cela, il arrivait apparemment régulièrement que les dépenses soient plus importantes que les gains, par exemple lorsqu'un transport échouait. Jose O. était alors hors de lui et écrivait sur le chat qu'il fallait envoyer le responsable chez le coiffeur. En Colombie, cela signifie qu'il faut tuer quelqu'un.

Le mauvais côté de la vie de gangster

Pour arrondir ses fins de mois, José O. stockait, selon le procureur, de grandes quantités de cocaïne dans son appartement, qu'il transformait, empaquetait et revendait à des intermédiaires. C'est par cette activité qu'il se serait lancé dans le commerce il y a neuf ans. Il est inhabituel qu'il n'ait pas abandonné ce travail, pourtant, peu valorisant pour lui, lorsqu'il a gravi les échelons. Normalement, le travail est hautement divisé et structuré dans le trafic de cocaïne. L'affaire montre que même un chef présumé de la drogue, dont le chiffre d'affaires atteint des millions, ne peut pas forcément mener une vie agréable.

Ein Polizist bewacht die beschlagnamten 55 Kilogramm Heroin waehrend eine Polizeipraesentation, am Dienstag, 25. November 2014, in Zug. Die Zuger Strafverfolgungsbehoerden zerschlagen, nach einem Tip  ...
Une saisie de drogue à Zoug (image d'illustration)Image: KEYSTONE

Il n'y a qu'une chose que Jose O. n'a jamais faite: vendre de la cocaïne dans la rue. Il aurait laissé le travail de front à ses membres de bande, tout en dictant les prix: au moins 70 francs par gramme. C'est relativement bon marché et cela montre que la concurrence entre les trafiquants est grande.

Le marché suisse croule sous la cocaïne
Des études menées par les laboratoires médico-légaux de Suisse indiquent que le degré de pureté de la cocaïne saisie a eu tendance à augmenter ces dernières années – alors que les prix sont restés stables. Une ligne de cocaïne ne coûte que 10 à 15 francs sur le marché noir, elle peut donc être moins chère qu'un cocktail dans un bar branché.

Les prix bas malgré une qualité en hausse le montrent: les trafiquants peuvent moins se permettre de couper la substance, car le marché suisse est inondé de livraisons de cocaïne.

Cela a deux conséquences: d'un côté, cela peut avoir des avantages pour la santé des consommateurs, car le risque lié aux additifs dangereux pour la santé diminue. De l'autre côté, les risques pour la santé liés à la cocaïne, tels que les dommages cardiaques, augmentent avec la hausse du dosage.

Les actions des polices cantonales ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan. Chaque année, elles saisissent quelques centaines de kilos de cocaïne, tandis que des hommes comme Jose O. organisent des transports soupçonnés d'atteindre plusieurs tonnes.

Un logiciel spécial pour traquer les trafiquants

Les autorités suisses ont commencé par n'exploiter qu'une petite partie des données suisses du Sky-ECC. En effet, même si les enquêteurs ont reçu les informations d'Europol sur un plateau d'argent, leur analyse est laborieuse. Chaque protocole de chat est enregistré dans un fichier Excel et apparaît donc toujours sous forme cryptée.

Forentec, une entreprise zurichoise de criminalistique, a donc développé, en collaboration avec Fedpol et le ministère public thurgovien, un logiciel qui présente les données de manière claire. Les enquêteurs et les traducteurs peuvent travailler en parallèle avec ce logiciel et rechercher, analyser et commenter les données.

Seules quelques autorités ont, toutefois, acheté des licences pour cela. Interrogé à ce sujet, Colin Jörg, informaticien en chef de Forentec, commente:

«Jusqu'à présent, c'est une opération déficitaire pour nous. Nous espérions mieux. Mais nous continuons à croire en notre produit et nous allons continuer à le développer pour d'autres systèmes de chat»

Les criminels ont-ils droit à la protection des données?

Il n'est pas clair non plus dans quelle mesure les données peuvent être utilisées comme preuves devant un tribunal. En effet, elles proviennent d'un piratage administratif qui ne serait guère autorisé en Suisse. Néanmoins, elles peuvent être admises devant les tribunaux si elles permettent d'élucider des délits graves.

Martin Steiger, expert en droit dans l'espace numérique, est très critique:

«Moins il y a d'Etat de droit, plus les accusations de délit et donc les conséquences pénales possibles doivent être graves. Du point de vue de l'Etat de droit, ce devrait être exactement l'inverse.»

Le jargon des criminels est compliqué à décoder

Une autre difficulté pour les forces de l'ordre est que les participants aux discussions Sky-ECC utilisaient de nombreux mots de code. Ils se sentaient certes en sécurité sur la plateforme et partageaient des photos d'armes ainsi que des plaques de cocaïne, des listes d'itinéraires de bateaux avec des ports marqués et des données GPS, qui peuvent désormais devenir des preuves. Mais ils avaient apparemment tellement bien intégré leur langage secret dans leur quotidien qu'ils ne l'ont pas abandonné, même dans ce cadre qu'ils jugeaient être sûr.

Jose O. et ses complices ont ainsi parlé à plusieurs reprises d'un «ranch». La procureur en charge de l'affaire suppose qu'il s'agit de l'appartement près de la Messeturm. Mais elle n'en est pas sûre.

Le «ranch» actuel de Jose O. est la prison de Bostadel dans le canton de Zoug, où il est placé en exécution de peine anticipée. Par l'intermédiaire de son avocat Moritz Gall, il fait savoir qu'il reconnaît une partie de l'accusation:

  • oui, il a consommé de la cocaïne.
  • Mais non, il n'en a jamais fait commerce.

Concernant le téléphone portable contenant les chats de Sky-ECC que les enquêteurs ont trouvé chez lui, l'accusé déclare: «Je n'ai rien à voir avec cela. Quelqu'un a laissé cet iPhone dans mon appartement parce qu'il était cassé. Mais je ne l'ai jamais utilisé». (aargauerzeitung.ch)

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