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Accord avec l'UE: «Ignazio Cassis ne trahit pas la Constitution»

Ignazio Cassis, l'homme qui porte l'accord-cadre Suisse-UE. Berne, 17 mars 2025. Médaillon: Pascal Mahon, professeur à l'Université de Neuchâtel.
Ignazio Cassis, l'homme qui porte l'accord-cadre Suisse-UE. Berne, 17 mars 2025. Médaillon: Pascal Mahon, professeur à l'Université de Neuchâtel.Image: KEYSTONE

Accord avec l'UE: pourquoi le Conseil fédéral «ne tord pas le droit»

Alors que la décision du Conseil fédéral de ne pas soumettre l'accord-cadre Suisse-UE à la double approbation du peuple et des cantons suscite de vives polémiques, Pascal Mahon, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Neuchâtel, explique la mécanique actuelle et historique du référendum, dégainé, ou pas, pour les traités internationaux.
08.05.2025, 19:0709.05.2025, 10:33
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En décidant de soumettre l'accord-cadre conclu entre la Suisse et l'Union européenne à la possibilité du référendum facultatif (majorité du peuple) et non pas au référendum obligatoire (majorité du peuple et des cantons), le Conseil fédéral et son ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis ont semé la colère dans le camp souverainiste.

Dans un podcast daté du 6 mai, l'ancien président de l'UDC Vaud, Kevin Grangier, coordinateur romand de Pro Suisse, le groupe de pression issu de l'ex-Association pour une Suisse indépendante et neutre, affirme, parlant des tenants de la ligne Cassis: «Ils assassinent la Suisse». Vraiment? watson s'est entretenu de ces questions avec Pascal Mahon, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Neuchâtel.

En soumettant l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne au référendum facultatif, autrement dit à la majorité simple du peuple en cas de votation, le Conseil fédéral, suivant la ligne d’Ignazio Cassis, trahit-il la Constitution?
Pascal Mahon: Non. Dans notre système constitutionnel, seuls les traités internationaux conclus en vue d’une adhésion à une communauté supranationale comme l’Union européenne ou à une organisation de défense collective, de type Otan, doivent être soumis au référendum obligatoire, c’est-à-dire à la double majorité du peuple et des cantons. Mais, dans l’histoire de la Suisse, on a eu trois cas d’un référendum obligatoire dit extraordinaire, appelé «sui generis» en langage plus technique. Le Conseil fédéral les soumit spontanément au référendum obligatoire nécessitant la double majorité.

Quels sont ces cas?

«Le premier des trois cas fut la votation en 1920 pour l’adhésion à la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU sise à Genève. Le peuple et les cantons dirent "oui"»

Il faut préciser qu’à l’époque n’existait pas encore dans la Constitution suisse le dispositif prévoyant les cas de figure du référendum obligatoire en matière de traités internationaux, dont le déclenchement est automatique. Le référendum facultatif, et non pas obligatoire, valant pour les traités internationaux d’une durée de plus de 15 ans, a été introduit dans la Constitution l’année suivante, en 1921. En 1920, le Conseil fédéral a donc proposé un référendum obligatoire de nature extra-constitutionnelle, si l’on veut bien.

Quel fut le second cas de référendum obligatoire extra-constitutionnel?
C’est, en 1972, l’accord de libre-échange avec la Communauté économique européenne, qui deviendra plus tard l'Union européenne. Le Conseil fédéral, suivi par le Parlement, a estimé que cet accord, qui permettait l’entrée des produits industriels et des produits agricoles transformés suisses dans le marché européen, était à ce point important et en quelque sorte révolutionnaire à cette époque, qu’il nécessitait un vote à la double-majorité.

Sur l'EEE, un référendum obligatoire extraordinaire

Et quel est le troisième cas de référendum obligatoire extra-constitutionnel?
Il s’agit de l’entrée dans l’Espace économique européen (EEE), rejetée par le peuple et les cantons en 1992. Le Conseil fédéral n’était pas tenu de soumettre cet objet au référendum obligatoire, l’EEE n’étant pas une organisation supranationale comme la CEE devenue l’UE, mais il a estimé que les conséquences d’une adhésion étaient suffisamment importantes, notamment en termes de règlement des litiges, pour justifier d’un vote à la double majorité. Précision importante: à la différence des deux autres cas évoqués, le référendum obligatoire existait déjà, cette fois, dans la Constitution.

Quand le référendum obligatoire en matière de traités internationaux a-t-il été introduit dans la Constitution?
En 1977. Cette année-là fut introduit dans la Constitution un nouveau système de référendum sur les traités internationaux, qui comprend deux types de traités soumis au référendum obligatoire: l’adhésion à une communauté supranationale ou à une organisation de défense collective, comme vu plus haut.

«La première votation sur l’adhésion à l’ONU, en 1986, fut ainsi soumise au référendum obligatoire, à la double majorité, donc, parce que l’ONU a été considérée comme une organisation de sécurité collective»

Lorsque les Suisses ont accepté d’entrer dans l’ONU en 2002, c’était à la suite d’une initiative populaire, requérant, comme on le sait, la double majorité. A côté de cette première catégorie de traités, on trouve les traités internationaux soumis au référendum facultatif.

Qu'ont-ils de différents?
Ce sont ceux qui supposent une adaptation du droit suisse au niveau législatif, mais pas de la Constitution fédérale, ceux qui sont non-dénonçables et d’une durée indéterminée et ceux qui entraînent une adhésion à une organisation internationale. Il existe une troisième catégorie, les accords internationaux qui ne sont soumis à aucun référendum tout en nécessitant l’approbation duParlement (ce sont ceux qui ne rentrent dans aucune des deux catégories précédentes). Enfin, certains traités, jugés moins importants, sont à la discrétion du seul Conseil fédéral, lorsque la base légale existe déjà dans le droit suisse, par exemple.

«Cela fait donc en tout quatre catégories de traités»

Deux blocs d’accords importants réglant les relations de la Suisse avec l’Union européenne, les bilatérales I et les bilatérales II comprenant Schengen/Dublin (libre-circulation des personnes et asile), acceptés respectivement en 2000 et 2005 en votation, ont été soumis au référendum facultatif requérant la seule majorité du peuple et non au référendum obligatoire. Pourquoi?
A ces occasions, le Conseil fédéral a considéré que ces traités ou accords ne relevaient pas du référendum obligatoire, puisqu’ils ne faisaient pas entrer la Suisse dans un organisation supranationale. Mais il s’est néanmoins posé la question de les soumettre à ce que j’ai appelé plus tôt le référendum obligatoire extraordinaire ou extra-constitutionnel, comme pour les objets de 1920, 1972 et 1992.

Et alors?
Le Conseil fédéral estimé que cela ne se justifiait pas et le Parlement l’a suivi. Mais la question s’est posée à l’époque et on peut se la poser aussi pour le présent accord-cadre, que le Conseil fédéral a finalement décidé de soumettre au seul référendum facultatif. Cela dit, nous ne sommes clairement pas aujourd’hui, avec l’accord-cadre, dans un cas où la Constitution oblige au référendum obligatoire.

«Ceux qui disent que le Conseil fédéral est en train de tordre le droit veulent le rejet de l’accord-cadre»

Ils savent bien que la double majorité signerait probablement sa mort. Rappelons que Schengen/Dublin, accepté à la majorité simple, a été approuvé à 56% par le peuple, mais rejeté par une majorité de cantons.

Les tenants du référendum obligatoire n’ont-ils pas raison lorsqu’ils disent que la double majorité pour l’accord-cadre serait plus démocratique?
Non, pas nécessairement. Permettez-moi de dire pourquoi. Il y a tout un mouvement politique en Suisse qui voudrait qu’on étende le référendum obligatoire à tous les traités internationaux. Cette demande est toujours justifiée par l’argument selon lequel, ce serait plus démocratique. Or, le référendum obligatoire est-il réellement plus démocratique que le référendum facultatif, sachant que les citoyennes et citoyens des petits cantons ont parfois jusqu’à 50 fois plus de poids dans un vote à double majorité que les citoyennes et citoyens d’autres cantons, un vote d’Appenzell Rhodes-intérieures pesant ainsi environ 50 fois plus qu’un vote du canton de Zurich, un vote d’Uri 40 fois plus?

Qu'en déduisez-vous?

«Je dirais que le référendum obligatoire à double majorité est un renforcement du fédéralisme, mais qu’il n’est pas un renforcement de la démocratie»

J’ajouterais que, dans le cas de l’accord-cadre, la question de savoir si l’on est plutôt dans le périmètre du référendum facultatif ou dans l’esprit du référendum obligatoire extraordinaire peut se discuter, mais pour trancher, il faudrait savoir précisément ce que l’accord contient. Or on l’ignore pour l’heure et c’est là une critique qu’on peut adresser au Conseil fédéral.

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