Le plus émouvant fut sans doute le complet silence qui accueillit les premières estimations données à midi par la télé. Non qu’il y eût le moindre doute, mais à ce moment-là, chacun se remémorait sûrement un peu de sa vie de gay, de lesbienne, de trans, de quelque chose d’autre que la norme. C’est à 13h15 qu’on entendit, enfin, un bruit de joie, celui d’un bouchon de champagne. Vive les mariés! A peu près ça, oui. Dorina Xhixho, l’égérie du mariage pour tous côté PSG (Parti socialiste genevois), venait de briser la drôle d’atmosphère. «On a du mal à marquer notre joie. L’investissement émotionnel a été si fort», confiait la jeune femme d’origine albanaise.
En ce dimanche de votations, la terrasse du Phare, un «bar gay genevois» tenu par Pierre depuis les débuts, dans les années 90, accueillait la communauté LGBTQI (avec le temps, l'acronyme s’est allongé).
Le Phare. Un nom de circonstance. Attention aux récifs! En voici un, nommé UDC: «Il va falloir être très attentif aux nouvelles revendications qui pourraient apparaître au sein de certains milieux, que ce soit au niveau des mères porteuses ou des quotas de genre sur les listes électorales. Il ne faut pas aller plus loin dans l’immédiat», a aussitôt averti le vice-président de l’UDC Vaud, Yohan Ziehli.
Il ne va pas être déçu, le pépère. Ce sont peut-être les plus résolus, les radicaux de la cause LGBTQI, mais ils comptent bien continuer d’aller de l’avant sur les revendications. Les quotas de genre sur les listes électorales? On verra. Dimanche, au Phare, la transidentité présentait un cahiers de doléances fourni.
Mo, 28 ans, né «femme», son genre assigné à la naissance, dit-il, a transitionné.
Mo, tous ceux et toutes celles qui pensent comme lui, se heurtent à l’AMQG, l’Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes. Des empêcheurs de transitionner à la demande. L’AMQJ, soutenue par l’un des cofondateurs de Pink Cross, l’une des premières antennes gay de Suisse romande, milite contre «la médicalisation outrancière des troubles de l’identité de genre». La modération, un truc de boomers.
Lynn a effectué sa transition entre 2014 et 2017. Elle était alors cadre bancaire. «J’en ai parlé à la direction de la banque, mais j’ai bien vu qu’ils n’étaient pas très chauds. Je n'avais plus de travail à faire. Avec la banque, on s’est entendu, j’ai fini par partir. Le plus embêtant, c’est que c’était à trois ans de la retraite.» « Ah bon, tu as cet âge-là? On ne dirait pas», font ses amis Mo et Lucie, qui la croyaient plus jeune. Lynn semble apprécier le compliment.
Mo partage sa vie avec Lucie, 23 ans. Le mariage? Pourquoi pas. Un enfant? Oui, mais Mo étant «stérile», Lucie devra procéder à une PMA, une procréation médicalement assistée, autorisée par la nouvelle loi votée dimanche. Reste l’adoption, ou encore la GPA, la gestation pour autrui, la solution de la mère porteuse.
Sauf que la GPA est interdite par la Constitution suisse, rappelle Dorina Xhixho, la jeune femme engagée au PS genevois. «C’est une question extrêmement sensible», dit-elle d'une façon un peu convenue. «Je trouve qu’on ne devrait pas faire de la GPA une problématique uniquement LBGT. Les hétéros aussi peuvent être concernés», affirme-t-elle.
Surtout ne pas donner l’impression de ne pas forcer l'avantage après la large victoire de dimanche. Pour beaucoup, la GPA est une ligne rouge. Interdiction de s’en approcher.
Sur les revendications à venir (doit-on inclure la GPA?), Dorina XhiXho parle en politique. «Il faut voir, c’est une question de timing. C’est de la société civile que viendront les choses. Mais sur le substantiel, sur les droits qu’il reste à conquérir par la communauté LGBTQI, à titre personnel, je suis à fond pour.»
Un peu plus et l'on passait à côté d’un point essentiel. L’acceptation de l’homosexualité. En termes inversés: la lutte contre l’homophobie. Cette question préoccupe Dorina Xhixho. Il s’agit désormais d’assurer le service après-vente du mariage pour tous:
La question culturelle n’est pas moins sensible. Sans chercher à stigmatiser quiconque, les militants LGBTQI se rendent compte de la difficulté à aborder la question homosexuelle dans des milieux conservateurs, en particulier religieux. Sensibiliser les ministres du culte, notamment les imams, afin qu’ils véhiculent un message de tolérance auprès des fidèles sur les thèmes LGBTQI? Dorina Xhixho ne souhaite pas empoigner la question ainsi. Elle plaide pour une approche «intersectionnelle», dans laquelle toutes les discriminations touchant les minorités seraient abordées de front.