Depuis lundi, les enseignants du cycle d'orientation (CO) faisaient grève à Genève. Ils protestaient contre une mesure décidée par la conseillère PLR en charge de l'instruction publique Anne Hiltpold, qui souhaite augmenter les périodes d'enseignements pour chaque enseignant. Ce mercredi, la grève a été suspendue pour «redonner une nouvelle chance aux négociations», a indiqué Christian Dandrès, président du Syndicat des services publics (SSP).
Prof remplaçante et étudiante en Master de lettre, Marie (prénom d'emprunt), 23 ans, se confie sur la colère qui gronde. Celle qui se destine au métier de professeur au secondaire nous explique pourquoi cette grève était nécessaire.
watson: Pourquoi faire grève?
Marie: Anne Hiltpold a décidé d'ajouter deux périodes d'enseignement en plus par semaine, par professeur, pour un 100%. On passerait ainsi de 24 à 26 périodes d'enseignement. Concrètement, ces deux périodes supplémentaires représentent 4 à 6 heures de travail en plus par semaine, pour tout ce qui concerne l'administratif.
Vous parlez de travail administratif, en quoi consiste-t-il justement aujourd'hui?
Pour un professeur au secondaire qui travaille à 100%, son temps de travail est divisé en plusieurs parties: il y a les cours donnés aux élèves, les fameuses périodes qui sont aux nombres de 20 à 24 par semaine, et l'administratif. On parle ici de la préparation des cours et des évaluations et tout ce qui entoure la gestion d'une classe: les réunions avec les parents, l'organisation des sorties et camps, mais aussi les différentes formations que nous devons suivre pour apprendre à gérer les élèves au comportement difficile ou ceux ayant des difficultés d'apprentissage. A ça s'ajoutent les formations pour moderniser les méthodes d'enseignements.
Anne Hiltpold a déclaré vouloir supprimer certaines de ces tâches administratives pour les remplacer par ces périodes d'enseignement supplémentaires. Est-ce réaliste?
Non. Ce ne sont pas les périodes d'enseignement en elles-mêmes qui sont difficiles. Au contraire, c'est presque ce qui prend le moins de temps si on compare les heures consacrées aux tâches administratives. En ce qui concerne mon cas, étant étudiante et remplaçante dans un cycle d'orientation, je ne compte plus les fois où j'ai dû mettre mes études de côté pour m'occuper de la paperasse, qui ne peut pas être remise à demain.
Ce modèle d'enseignement est toutefois une réalité dans les autres cantons de Suisse...
Oui, mais le suivi individualisé des élèves en pâtit, si j'en crois certains témoignages de parents ayant basculé leurs enfants dans le système du secondaire actuellement en vigueur à Genève. C'est grâce au temps que l'on a disposition que l'on peut mieux suivre nos élèves, notamment en proposant des cours d'appuis. Beaucoup ont d'ailleurs malheureusement dû être supprimés par manque de budget. Nous retirer des heures «administratives» pour les remplacer par des périodes d'enseignements, sur le même temps de travail, nous empêcherait de faire de telles choses.
C'est donc logique de vouloir garder du temps pour conserver la qualité des conditions d'enseignement de nos élèves.
Vous êtes en début de carrière, pourquoi vous sentez vous aussi concernée?
Augmenter les charges de travail d'un enseignant à 100% reviendrait à diminuer les postes disponibles. Parce qu'il n'y aurait plus d'heure à donner aux jeunes diplômés, on serait contraint de faire des remplacements, ou pire, de changer de travail le temps d'attendre qu'un poste se libère. Si ces deux périodes supplémentaires venaient à s'ajouter, cela repousserait le temps d'attente à l'obtention d'un contrat de travail au secondaire de 3 à 5 ans, selon la branche enseignée.
Beaucoup disent que vous exagérez... Vous leur répondez quoi?
Qu'ils viennent une seule journée prendre notre place. Tout le monde a été à l'école et part donc du principe qu'enseigner n'est pas «si difficile que ça». Seulement, gérer une classe de 24, 18 ou 12 élèves quand il s'agit d'enfants en grandes difficultés scolaires, qui n'ont pas envie d'être là, n'est pas chose facile. Il faut savoir faire preuve de pédagogie. Raison pour laquelle d'ailleurs, le canton de Genève est le seul en Suisse à exiger un master universitaire et une formation pédagogique pour enseigner au secondaire.
Et à Anne Hiltpold?
Elle dit qu'on exagère, mais je trouve qu'elle nous méprise énormément. 2027, c'est bientôt là et je pense qu'elle ne s'en rend pas tout à fait compte.
J'ai un peu l'impression qu'elle essaie de retourner l'opinion publique contre nous.
Et ça marche selon vous?
Entre collègues et établissements, on est soudés. En ce qui concerne la population, c'est mitigé. Il y a du soutien mais c'est très flou cette histoire de périodes supplémentaires, personne ne comprend vraiment ce que ça implique... Leur première réponse est plutôt de nous critiquer et de revenir sur le fait que nous sommes privilégiés car nous avons des avantages. Mais c'est difficile de comprendre quelque chose qui est très mal expliqué.
Ce mercredi après-midi, la grève a été suspendue et les cours devraient reprendre normalement dès jeudi matin. Etes-vous d'accord avec ça?
C’est bien que le dialogue soit à nouveau possible, puisqu'il était complètement fermé jusque-là. On ne cherchait qu'à nous imposer de nouvelles mesures sans pour autant nous demander notre avis. Toutefois, tout dépend de ce qu’ils nous diront, mais je suis curieuse de voir ce qu'ils vont nous proposer. La prudence reste de mise.