La «soirée jeux en mixité choisie sans hommes cisgenres», qui devait avoir lieu le 28 janvier à la ludothèque du Petit-Saconnex (GE), aurait-elle pu tomber sous le coup de la norme pénale antiraciste? Cet événement, finalement annulé suite à diverses protestations, certaines émanant des libéraux-radicaux de la Ville de Genève, était organisé par l’association gérant la ludothèque, elle-même financée par des fonds publics.
Même portée par les meilleures intentions, tout en empruntant au langage inclusif et à une vision du monde accordant à l’individu un pouvoir d’autodétermination de son genre, cette soirée, dans l’absolu, enfreignait-elle le droit? En l’occurrence, l’article 261 bis du code pénal condamnant le racisme et l’homophobie.
La question peut paraître paradoxale, puisque cette même soirée visait, comprend-on selon les organisateurs, à permettre, et pour le dire sans filet, aux filles de s’amuser sans la présence parfois envahissante des garçons (les «hommes cisgenres»).
Mais en l’espèce, n'est-on pas en face d'une discrimination visant une catégorie de la population en raison de son appartenance réelle ou supposée? Qu’est-ce qu’un «homme cisgenre» dans le lexique LGBTQI+? C’est un homme hétérosexuel ou homosexuel se sentant à l’aise dans son «genre assigné à la naissance», en d'autres termes, comme homme. A cette occasion, l’association n'aura-t-elle pas manifesté sa volonté d’exclure de la «soirée jeux» des individus en raison de leur appartenance identitaire de genre ou de sexe?
Que dit l’article 261 bis? Notamment ceci:
En conséquence, peut-on considérer que l’interdiction faite aux «hommes cisgenres» de se joindre à l’événement du 28 janvier revenait à empêcher une partie de la population d’avoir accès à «une prestation destinée à l’usage public» (la «soirée jeux» dans un lieu financé avec des deniers publics), en raison de son «orientation sexuelle»?
Nous avons posé la question à Alexandre Curchod, avocat spécialiste de la norme antiraciste, auteur de livre Liberté d’expression (éditions Favre, 2019). Voici sa réponse, transmise par e-mail:
Il ajoute:
Bien que tout à fait opposé au principe même de la «soirée jeux en mixité non choisie sans hommes cisgenres», qui avait reçu le soutien de la conseillère administrative chargée de la Cohésion sociale à la Ville de Genève, la socialiste Christina Kitsos, le PLR genevois Mohamed Atiek, juriste de formation, estime également que l’article 261 bis ne peut pas être invoqué dans le cas présent.
Pourquoi? «Parce que cette loi vaut pour l’orientation sexuelle, c’est-à-dire la préférence sexuelle. Elle ne mentionne ni le sexe ni le genre», explique Mohamed Atiek. «A ce propos, reprend le PLR genevois, le parlement fédéral, lorsqu’il a ajouté l’orientation sexuelle à la norme antiraciste, n’a pas souhaité y inclure le genre ou le sexe. S’il l’avait fait, et dès lors qu’il y a prestation publique, la soirée jeux en non-mixité aurait pu faire l'objet d'un examen légal.»
«Si cela ne tombe pas sous le coup de la norme pénale antiraciste, on pourrait alors se demander si cela ne contrevient pas à l’article 8, alinéa 2 de la Constitution fédérale», questionne Michèle Roullet, cheffe du groupe PLR au conseil municipal (législatif) de la Ville de Genève. Article et alinéa en vertu desquels:
Mais le sexe est-il le genre? Le législateur, en l’occurrence plutôt la droite, face à des initiatives comme celle prise par la ludothèque en question, dont on constate qu'elle a soulevé de la réprobation et parfois de la colère, pourrait vouloir compléter la loi.
Ce que Michèle Roullet trouve particulièrement choquant dans le cas de la ludothèque, c’est qu’on a, du moins théoriquement, «demandé à des enfants ou préadolescents de se déterminer sexuellement en termes identitaires».
Jointe, la ludothèque du Petit-Saconnex, faisant valoir l’absence de sa responsable, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Quant à la conseillère administrative chargée de la Cohésion sociale à la Ville de Genève, elle n’était pas disponible ce mardi, a informé son bureau.