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La guerre en Ukraine enseigne et pousse à moderniser l'armée suisse

Le chef de l'armée suisse Thomas Süssli observe très attentivement ce qui se passe dans la guerre en Ukraine. Il doit en tirer des leçons, selon le think tank Swiss Institute for Global Affairs.
Le chef de l'armée suisse Thomas Süssli observe très attentivement ce qui se passe dans la guerre en Ukraine. Il doit en tirer des leçons, selon le think tank Swiss Institute for Global Affairs.Image: Keystone

L'armée suisse jugée: «nous sommes incapables de mener la guerre du futur»

Selon le think tank Swiss Institute for Global Affairs, l'armée n'est pas capable de mener la guerre de défense du futur. Il propose donc une nouvelle structure organisationnelle.
15.07.2022, 17:0315.07.2022, 23:47
Othmar von Matt / ch media
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A première vue, l'armée suisse semble parfaitement équipée pour l'avenir. Pour commencer, elle recevra nettement plus d'argent d'ici 2030: elle devrait alors recevoir environ 9 milliards au lieu des 5,3 milliards actuels (0,7% du produit intérieur brut). Cela représente un pour cent du PIB.

Seulement, l'argent à lui seul ne suffit pas à rendre l'armée plus efficace. Pour faire cela, elle doit d'abord faire du travail sur soi: elle devrait repenser sa structure organisationnelle et s'orienter davantage vers la stratégie militaire. Elle pourrait, alors, effectivement faire un pas en avant massif.

C'est ce qu'affirment Remo Reginold et Urs Vögeli du think tank Swiss Institute for Global Affairs (Siga). Ce groupe de réflexion a examiné à la loupe les structures de l'armée au sein du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Le bilan est décevant.

Le déficit au niveau stratégique

«Avec les structures militaires actuelles, nous ne sommes pas capables de mener la guerre de défense du futur», jugent-ils. La structure est trop composée de silos indépendants:

«Un niveau stratégique manque à l'armée et à la politique de sécurité»

Du point de vue de la manière de penser, la politique de défense se situe trop au niveau opérationnel, presque tactique. Il s'agit, par exemple, de savoir combien de chars sont nécessaires. La pensée en réseau fait défaut. La politique de sécurité et militaire court après les problèmes – «de manière réactive plutôt que proactive».

Pour Reginold et Vögeli, la raison se trouve dans la «surbureaucratisation» du système. Il s'agit avant tout du secrétariat général du DDPS, qui compte 304 postes à plein temps, occupés par environ 700 personnes. Dans le Groupement Défense (Groupement D), comme l'armée s'appelle administrativement, s'ajoute l'Etat-major de l'armée. Il y aurait ici de nombreux doublons et une mauvaise répartition des compétences.

L'armée a besoin d'une culture civile plus forte

Pour le think tank, il est clair que le Groupement Défense a besoin d'une nouvelle structure. Il propose maintenant de transformer ce groupe en un Secrétariat d'Etat à la Défense – avec à sa tête un secrétaire d'Etat civil plutôt qu'un chef de l'armée en uniforme.

Le chef de l'armée Suisse Thomas Süssli.
Thomas Süssli, chef de l'armée.Image: keystone

Le groupe V, jusqu'à présent marqué par l'armée, doit avoir à sa tête une culture civile et plus orientée vers la stratégie militaire. Un secrétaire d'Etat civil aurait par exemple un bien meilleur accès aux autres départements. Selon Reginold et Vögeli, un secrétaire d'Etat civil permettrait également à l'armée de mieux se mettre en réseau au niveau international.

Le chef de l'armée qui remplit deux rôles

Thomas Süssli, chef de l'armée, remplit, aujourd'hui, déjà deux rôles. Conformément à l'ordonnance de la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration, il est chef d'un groupe d'offices et dirige des divisions militaires qui, sur le plan administratif, sont équivalentes à des offices fédéraux:

  • Etat-major de l'armée.
  • Commandement des opérations.
  • Base logistique de l'armée (BLA).
  • Base d'aide au commandement (BAC).
  • Commandement de l'instruction.

Parallèlement, selon l'article 2 de l'ordonnance sur l'organisation de l'armée, Süssli est également le chef classique de l'armée en uniforme. «Il y a là des incohérences», disent Reginold et Vögeli. A cela s'ajoutent des bizarreries dans le système. Ainsi, les chefs suprêmes de l'armée ne sont pas des commandants, bien qu'ils dirigent des commandements. Et le chef de l'armée partage le rang de commandant de corps avec Laurent Michaud (commandement des opérations) et avec Hans-Peter Walser (commandement de l'instruction), deux subordonnés directs.

De plus, le chef de l'armée n'a presque pas de ressources et d'infrastructures qui lui soient propres. Il est tributaire de l'état-major de l'armée, qui constitue de fait sa propre unité administrative. Les forces armées et l'administration de l'armée sont, aujourd'hui, superposées. Cela entraîne des tensions au niveau de la culture organisationnelle et aussi des malentendus dans la défense extérieure.

Les premiers enseignements de la guerre en Ukraine

Le think tank fonde sa proposition de nouvel organigramme du domaine de la défense sur les premiers enseignements tirés de la guerre en Ukraine et sur des comparaisons avec les grandes armées modernes comme celles des Etats-Unis et de la Chine, mais aussi avec les forces armées du nord de l'Europe. De plus, Reginold et Vögeli connaissent bien les structures de l'armée suisse en tant qu'officiers de milice et dans le cadre de mandats de conseil au sein de l'administration fédérale et de l'armée. Reginold est chargé de cours en sciences sociales à l'université de Bâle et Vögeli travaille sur une thèse en sciences politiques à l'université de Zurich.

Pour Reginold et Vögeli, la défense de l'Ukraine se distingue par deux caractéristiques:

  1. Il n'y a presque jamais de dirigeants militaires. C'est toujours le président Volodimir Zelensky en personne qui répond aux questions – ou l'un de ses conseillers. Zelensky a ainsi réussi à impliquer activement la population dans la lutte. Une direction civile forte dans la défense est indispensable pour avoir la société de son côté dans un tel cas. En Suisse, cela renforcerait également le principe de milice.

  2. Les dirigeants ukrainiens ont habilement érigé Zelensky en figure de héros. Cela a été rendu possible grâce au savoir-faire du monde du cinéma. Zelensky lui-même était un ancien acteur et possédait des sociétés de production. Des personnes importantes du service de renseignement et de l'entourage de Zelensky sont également issues du monde du cinéma.

Il en résulte, selon le think tank, deux conclusions centrales pour l'armée suisse:

  1. Ellle doit disposer d'une direction stratégique militaire civile. Cela renforcerait également les forces armées elles-mêmes, qui seraient alors clairement séparées de l'administration militaire.
  2. Elle devrait impérativement acquérir un savoir-faire pour pouvoir raconter elle-même des récits, et ainsi exister dans la guerre de l'information. Cela devrait se faire par le biais des états-majors militaires stratégiques qui seraient placés sous la responsabilité du secrétaire d'Etat.

Les Etats-Unis ont une séparation claire entre le civil et le militaire

Un coup d'œil sur l'organigramme des forces armées américaines a renforcé l'opinion de Reginold et Vögeli au sujet de la séparation claire entre le commandement et l'administration civils et les opérations militaires. Les Américains maintiennent une stricte séparation entre le domaine de la stratégie (Conseil national de sécurité et ministère de la Défense), le domaine de l'administration militaire civile et les forces opérationnelles.

Une inspiration particulière: le modèle chinois

Il est particulièrement instructif de se pencher sur la structure de l'Armée populaire de libération chinoise. Autrefois, elle était un Etat dans l'Etat. Mais Xi Jinping, président de la République depuis 2013, a complètement démantelé l'administration de l'armée. Il est lui-même président de la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois et de la République populaire.

La nouvelle force de soutien stratégique lui est donc également directement subordonnée. Elle comprend des éléments centraux tels que le renseignement stratégique, les opérations psychologiques, les cyber-opérations et la guerre électronique. Même le domaine de l'espace lui est rattaché. Cela permet d'anticiper la guerre de l'avenir basée sur l'information. Reginold explique:

«Les Chinois ont compris ce que signifie travailler en réseau et dynamiser ainsi les forces armées classiques»

Le modèle chinois a inspiré le think tank qui a intégré un «sous-état-major du savoir» dans les états-majors stratégiques militaires du Secrétariat d'Etat. «Nous devons maîtriser la guerre guidée par l'information», affirment Reginold et Vögeli. «Pour cela, le service de renseignement militaire et la science doivent être intégrés le plus près possible du secrétaire d'Etat». Pour cela, il faut aussi des anthropologues sociaux, des spécialistes de la littérature et des psychologues qui comprennent comment fonctionnent les phénomènes sociaux. L'académie militaire de Birmenstorf devrait également être implantée ici. Tout comme la communication, qui est responsable du traitement et de la diffusion du savoir.

Les «sous-états-majors Changement et Facilitation» viennent s'ajouter au sous-état-major Connaissance. Par changement, on entend «développement d'entreprise», qui devrait aujourd'hui être davantage axé sur l'innovation et l'agilité. La facilitation désigne un département qui peut fournir rapidement des ressources et des infrastructures au secrétaire d'Etat.

Et qui pourrait être ce nouveau chef du Secrétariat d'Etat? Reginold et Vögeli affirment:

«Un secrétaire d'Etat potentiel serait Thomas Süssli, car il comprend, dans l'esprit de la milice et en tant qu'entrepreneur, l'interconnexion entre le savoir, le changement et la facilitation.»

Aujourd'hui déjà, Süssli est largement démilitarisé en tant que chef de l'armée. Bien qu'il continue à porter son uniforme en tant que commandant de corps. (aargauerzeitung.ch)

Article traduit de l'allemand par Léa Krejci

Pour l'instant, le régime de Poutine s'en fiche de mes vidéos YouTube»
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