«Intenable», titrait mardi à sa une le quotidien Libération, l’a des jeux de mots. L’adjectif renvoie à la situation au gouvernement de Damien Abad, sous le coup d’accusations de viol, alors qu’il vient d’être nommé ministre et qu’il est atteint d’une maladie rare appelée arthrogrypose, handicapant la motricité de ses bras et de ses jambes.
Deux femmes l’accusent de violences sexuelles. L’une pour des faits qui seraient survenus en 2011, ayant fait l’objet de plaintes en 2012 et 2017, classées sans suite par le ministère public. D’abord consentie, la relation aurait pris ensuite un tour contraint. L’autre femme, qui n’a pas déposé plainte, affirme avoir été droguée puis violée par Damien Abad en 2010, dans un hôtel.
Le mis en cause, ministre des Solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, nie ces allégations. Elles ont été portées à la connaissance du public sitôt formé le nouveau gouvernement et après signalement transmis à un Observatoire des violences sexistes et sexuelles, créé par trois femmes plus ou moins proches de la France insoumise, le parti de Jean-Luc Mélenchon.
Sans préjuger de la culpabilité ou de l’innocence de Damien Abad, les opposants à la France insoumise voient là une manœuvre politique visant à occulter l’affaire, sexuelle elle aussi, impliquant le jeune «insoumis» Taha Bouhafs, ainsi qu’une vengeance du parti de droite Les Républicains, dont Damien Abad était l’un des piliers il y a peu encore. Pour sa défense, forcé d'évoquer sa vie intime, le ministre fait valoir son handicap qui, dit-il, l’empêche d’exercer quelque contrainte que ce soit de nature sexuelle.
«Le handicap n’est pas une circonstance atténuante. Un viol est un viol», pose d’emblée Claudine Damay, qui fut pendant dix ans présidente de Corps solidaires, une association suisse romande fondée en 2009, constituée d’hommes et de femmes prodiguant une «assistance sexuelle» à des personnes handicapées physiques ou mentales, hétéros ou homos.
Paraplégiques, tétraplégiques, handicapés moteurs, toute personne atteinte d’une «déficience physique entraînant un handicap social», selon les mots de Claudine Damay, peut faire appel aux services de Corps solidaires, présent en Suisse romande comme en France, pays où la prostitution, côté clients, est cependant interdite par la loi.
L’association, qui compterait une vingtaine de membres, ne se conçoit en rien comme une entreprise de prostitution, mais comme une entité faisant preuve d’altruisme. Si l’acte sexuel est certes rétribué 150 francs par le «bénéficiaire», et non le «client», les assistants et assistantes, eux, sont tenus d’avoir à côté de ce demi-bénévolat un emploi qui subvienne à leurs besoins, assure l’association.
Telle est la profession de foi de Claudine Damay, «une mère et grand-mère tout ce qu’il y a de plus normal», qui a donné dix ans de sa vie à cette cause, sans jamais avoir auparavant exercé une activité de «travailleuse du sexe».
«Je ne me prononcerai évidemment pas sur le cas de ce politicien français, mais son handicap est de ceux qui affectent les bénéficiaires de Corps solidaires», explique Claudine Damay. Celle qui est aujourd’hui une grand-mère distingue la «frustration» de la «privation». Elle aime à dire que l’association a affaire à des personnes en situation de privation et non de frustration sexuelle. Mais y a-t-il une différence entre ces deux états? La privation n’engendre-t-elle pas des frustrations?
Le fait est qu’une personne atteinte d’un handicap physique voyant, plutôt que de se risquer à croiser la gêne dans le regard de l’être charnellement désiré, pourra convenir qu’il vaut mieux faire appel aux prestations d’une association comme Corps solidaires, voire d’un ou d’une prostituée qui jouera le jeu sans rien laisser paraître.
Ne pas croire que les membres de Corps solidaires disent «oui» à toutes les personnes faisant appel à eux. «Il y a d’abord un rendez-vous préalable, sans acte sexuel, au cours duquel le bénéficiaire et l’assistante ou l’assistant décident ou non d’aller plus loin. Dès lors, il ne peut y avoir d’abus», affirme Claudine Damay.
Sujet délicat, la sexualité peut être davantage une épreuve qu’un plaisir lorsqu’on est atteint d’un handicap physique relativement lourd. Claudine Damay, sans vouloir préjuger du cas de Damien Abad, met toutefois en garde:
Pour l'heure, l'exécutif français, faisant valoir la présomption d'innocence et le travail jusqu'ici de la justice, maintient sa confiance à Damien Abad. Sur la radio RMC, une ancienne aide-soignante a livré un témoignage plutôt en sa faveur:
«Il a besoin des bras des autres. (...) Il ne peut pas dégrafer quoi que ce soit. Maintenir une personne, il ne peut pas.» Et d'ajouter: «A mon avis, il faut que la personne soit consentante pour avoir des relations sexuelles avec lui.»