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Juger un ex-gardien de camp nazi 76 ans après, à quoi ça sert?

Entrée au camp de concentration de Sachsenhausen, Allemagne
Entrée au camp de concentration de Sachsenhausen en Allemagne. image: shutterstock

A quoi ça sert de juger un gardien de camp nazi 76 ans après?

Agé aujourd'hui de 100 ans, l'homme va être jugé pour un crime commis il y a presque 80 ans. Pourquoi un jugement si tardif? Et est-ce que cela vaut encore la peine de le juger après tout? On a posé la question à Christian Ingrao, historien français et spécialiste de l’histoire du nazisme.
08.08.2021, 16:4209.08.2021, 10:08
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L'homme, un ancien gardien du camp nazi de Sachsenhausen en Allemagne, sera jugé en octobre prochain pour complicité de meurtre sur plus de 3 500 personnes entre 1942 et 1945. Il serait notamment impliqué dans «la fusillade de prisonniers de guerre soviétiques en 1942» ou la mort de plusieurs détenus «par l’utilisation du gaz toxique Zyklon B» rapporte Le Temps.

Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de le juger? Et est-ce que cela vaut encore la peine 76 ans plus tard? On a posé ces questions à Christian Ingrao, historien français, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’histoire du nazisme et de la violence de guerre.

Pourquoi un jugement aussi tardif?

Selon Christian Ingrao, c’est lié au mécanisme juridique. Dans les années 50, la justice allemande a commencé à s’intéresser de manière systématique aux crimes nationaux et elle a décidé de le faire en adoptant une ligne juridique qui évitait la question de la rétroactivité.

En 1937, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou le génocide sont des concepts qui n’existent pas encore. Aujourd'hui, les seules accusations possibles pour ces crimes sont le meurtre ou la complicité de meurtre. Et celles-ci demandent énormément de preuves.

«Le Code de procédure pénale de l'époque demandait à chaque fois une date, un lieu, une identité et des témoins. Vous vous retrouvez donc avec des incriminations qui sont très difficiles à obtenir»
Christian Ingrao, spécialiste de l’histoire du nazisme et de la violence de guerre.

D’après Christian Ingrao, même si on connaît parfaitement les coupables, on n’a pas forcément de preuves pour les incriminer et mettre en place un procès. C’est donc un travail minutieux que la justice allemande fait depuis des années, avec des enquêtes qui pour la plupart n’aboutissent pas.

L'homme poursuivi aujourd'hui en Allemagne occupait un échelon ultra subalterne : Il n’était donc pas une cible durant les premières décennies, précise Christian Ingrao.

«Il a peut-être été incriminé tardivement par une enquête préliminaire qui a conclu à son affectation et il a fallu un temps immense pour trouver des preuves et notamment des témoignages qui pourraient passer la rampe d’une inculpation et de la tenue d’un procès.»
Christian Ingrao, spécialiste de l’histoire du nazisme et de la violence de guerre.
Sélection et séparation des prisonniers à la gare ferroviaire du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne, vers 1944.
Sélection et séparation des prisonniers à la gare ferroviaire du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne, vers 1944.

Et est-ce que cela en vaut encore la peine ?

Si on prend une approche strictement financière absolument pas, car d'après Christian Ingrao, on va dépenser des centaines de milliers d'euros pour condamner un centenaire.

Par contre, d'une point de vue symbolique, cela compte énormément. Christian Ingrao souligne que ce jugement a un intérêt politique, civique et pédagogique. Ces grands procès sont en fait un prétexte et représentent une obligation morale de se souvenir d'un événement historique tragique pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas.

«Les Allemands estiment qu'il est important de continuer à faire un travail de mémoire»
Christian Ingrao, spécialiste de l’histoire du nazisme et de la violence de guerre.

Qu'est-ce que ce jugement va apporter?

D'après Christian Ingrao, ce jugement apporte non seulement une médiatisation de l'évènement mais rappelle surtout que l’impunité n’existe pas et que ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité seront jugés, tôt ou tard.

«C'est ce message silencieux qui dit aux personnes qui commettent des transgressions majeures au droit criminel public international que l’impunité n’existe pas»
Christian Ingrao, spécialiste de l’histoire du nazisme et de la violence de guerre.

Il y en a encore beaucoup des criminels nazis?

D’après Christian Ingrao, environ une demi-douzaine de procédures sont en cours que ce soit en Allemagne, en France ou en Italie. Ces pays ont choisi de donner à ces crimes et à leurs sanctions une chronologie qui n'est pas celle de la vie humaine, c'est pourquoi 60 ans plus tard, les accusations peuvent retomber.

«Ces procédures suivent les temporalités de la justice qui ne sont pas des temporalités humaines, c’est pour ça que 60 ans après, elles peuvent se réveiller»
Christian Ingrao, spécialiste de l’histoire du nazisme et de la violence de guerre.
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