Pour commencer, rembobinons un peu. Petit cours d'histoire! (Promis, ce sera digeste.) Si l'introduction de l’assurance vieillesse et survivant (AVS) en Suisse date de 1948, la perspective d'offrir une retraite aux travailleurs en fin de carrière est nettement plus ancienne, comme nous l'explique l'historien Laurent Tissot: «L'idée d'assurer les vieux jours de la population active date de la fin du 19e siècle. Avec l'industrialisation, les gens sont amenés à travailler davantage et pour un salaire généralement assez misérable».
Un sort assez peu enviable.
A l'époque, il devient urgent d'agir pour aider ces travailleurs en fin de course: «On envisage par conséquent de leur accorder un petit montant, afin d'assurer leur survie pendant quelques année dans des conditions suffisantes, même s'ils ne travaillent plus», complète Laurent Tissot. L'idée d'une retraite était née.
Longtemps, il n'y eut que la prévoyance individuelle pour se prémunir contre les vicissitudes de l'existence. «Le problème, c'est qu'on épargne quand on le peut», souligne Laurent Tissot.
Pendant très longtemps, les Suisses n’ont quasiment pas eu de possibilité d'économiser pour leurs vieux jours.
Partis socialistes, syndicats et Eglises, inquiets des conditions précaires dans lesquelles se trouvent certaines populations font de l'assurance vieillesse un cheval de bataille et l'une de leurs principales revendications.
Puis, au début du 20e siècle, c'est au tour de quelques entreprises de devenir des précurseurs en la matière: parmi elles, des banques ou des régies fédérales (comme les CFF et les PPT), qui sont parmi les premières à mettre au point un système de retraite pour leurs employés. Les fonctionnaires des CFF, par exemple, en bénéficient dès 1907!
«Certaines entreprises ont été très progressistes, car elles savent que ces avantages permettent d’assurer la satisfaction de la main-d'œuvre, qui ne va pas chercher du travail ailleurs», explique Laurent Tissot.
Citons aussi les initiatives menées par plusieurs cantons - dont Genève (en 1849), Neuchâtel (en 1898), et Vaud (en 1907), les trois premiers à encourager la création d'assurances populaires facultatives.
Le problème de ces différents systèmes, privés et sectoriels? Les prestations varient fortement. Et surtout, tout le monde n’en profite pas.
L'idée d'une assurance vieillesse obligatoire met longtemps à se propager au sein de la population. Elle peine particulièrement à franchir la frontière des cantons campagnards, marqués par un certain conservatisme et frileux face à ces mesures sociales. A la fin de la Première guerre mondiale, en 1917, une grande initiative propose la création de l’AVS. Elle finit rejetée dans les urnes par une large majorité de la population (masculine).
Il faut attendre patiemment l'année 1948 pour qu’une législation fédérale impose à tous, employeurs et employés, d’assurer aux Suisses ayant travaillé de quoi subsister après leur départ en retraite.
Non. Définitivement pas. La Suisse est même carrément en retard sur d’autres pays européens. «D’autres, de part leur système politique, ont été plus rapides», confirme Laurent Tissot.
La faute à notre système politique institutionnel. «En Suisse, il y a tout un processus législatifs. L'introduction d'une retraite de portée nationale, a été ralentie par la structure fédéraliste et la démocratie référendaire», détaille l'historien.
Bref: «1948, c’est tard. Comme le suffrage féminin. Il faudra attendre encore 30 ans de plus, dans les années 70, pour le voir établi.»
En parlant de femmes! Pourquoi partent-elles à la retraite une année avant ces messieurs? D'autant que, lors de l’introduction de l’AVS en 1948, l’âge de la retraite est fixé à 65 ans, tant pour les femmes que pour les hommes!
C'est un peu plus tard, en 1957, puis en 1964, que ces derniers (rappelons-le, les femmes n'ont toujours pas le droit de vote), décident de baisser l’âge de retraite des femmes à 63 et 62 ans.
Pourquoi donc? Avenir Suisse évoque une légende qui veut que les hommes de l’époque, souvent plus âgés que leurs épouses, ne veulent pas se retrouver seuls à la retraite. Quant aux arguments évoqués par le Conseil fédéral, ils ont de quoi laisser pantois:
En 1997, suite à la dixième révision de l'AVS (aussi appelée «révision des femmes»), l'âge de leur passage à la retraite est rehaussé progressivement, de 62 à 64 ans.
L'inégalité a bien failli être corrigée avec la onzième révision, marquant le retour à la situation initiale de 1948. Le processus d'harmonisation se heurte à un refus en vote populaire en 2004, puis au Parlement en 2011 et encore une fois par le peuple en 2017. Près d’un quart de siècle après la dernière réforme de l’AVS, la question n’est toujours pas réglée.