A la base, ils venaient dans Fortnite pour s'entretuer. Désormais, ils y écoutent des concerts. Du 6 au 8 août, c'est rien de moins qu'une tournée qu'Ariana Grande organise dans ce jeu vidéo multi-joueurs gratuit. Au total, la chanteuse – ou plutôt son avatar virtuel – se produira cinq fois au sein de ce monde parallèle. Un événement qui réunira des millions voir des dizaines de millions de spectateurs. L'an dernier, la performance du rappeur américain Travis Scott avait été suivie par plus de 12 millions de joueurs.
«Il faut éviter le piège de le regarder avec des yeux de trentenaires ou plus et de le comparer avec un concert traditionnel», prévient d'emblée Niels Weber, président de l'association Gaming Federation. Le psychologue spécialisé en hyperconnectivité précise toutefois que les participants - pour la plupart âgé de 8 à 14 ans – recherchent exactement la même chose que lors d'un concert physique: «Pour eux, c'est l'occasion de partager, de vivre une expérience avec d'autres gens. Ce qui est compliqué depuis deux ans.»
Ainsi Fortnite a profité de la pandémie pour accentuer une ambition déjà amorcée. «Ce qu'ils font est très fort, ils sont en train de dépasser le statut de simple jeu pour devenir une plateforme sociale», analyse Niels Weber. De ce point de vue, le fait d'organiser des concerts et d'autres événements où les joueurs peuvent se rencontrer prend tout son sens.
En février dernier, le jeu a carrément proposé un festival de courts-métrages durant 24 heures. «La vision des créateurs de Fortnite, c'est de créer un véritable lieu de divertissement», confirme Erinrose Sullivan, experte en stratégie marketing, spécialisée dans le monde des jeux vidéo. Et pour celle qui a notamment travaillé chez Ubisoft et EA Games, le potentiel est colossal. «C'est comme une seconde vie. C'est beaucoup plus riche qu'un réseau social.»
D'ailleurs, à ses yeux, Netflix ne s'est pas trompé en désignant son véritable concurrent en 2019:
«Un jeu vidéo, c'est actif et pas passif comme la télévision», observe la spécialiste. A terme, elle voit Epic – le studio à l'origine de Fortnite – aller bien plus loin que de simples concerts: «On pourrait imaginer d'autres événements, comme l'avant-première d'un gros film, la possibilité de faire ses achats en ligne sur une plateforme du même type qu'Amazon ou encore de la publicité qui s'affiche directement à l'intérieur du jeu.»
Mais les créateurs de Fortnite ne font pas tout ça pour le plaisir. Surtout quand on sait que le concert de Travis Scott leur aurait, par exemple, coûté 20 millions de dollars. «Ils veulent créer de la nouveauté pour garder, agrandir et nourrir leur audience, notamment le public féminin. Cela reste un sacré business», détaille Erinrose Sullivan.
Niels Weber souligne l'intérêt de cette technique de fidélisation. «Chez les ados romands on commence à apercevoir un désintérêt pour le jeu. Donc ils les attirent avec le concert et, quitte à être là, autant se faire une partie.» Ces derniers mois, Epic a effectivement multiplié les partenariats, intégrant les avatars de sportifs comme Neymar et LeBron James ou de personnages de Marvel et de Star Wars.
Car si le jeu est gratuit, il rapporte énormément d'argent à ses créateurs, notamment grâce aux objets virtuels, par exemple des costumes, que les joueurs peuvent acheter dans la boutique en ligne.
Le président de l'association Gaming Federation questionne les techniques mercantiles entourant Fortnite: «Ils jouent sur les leviers émotionnels pour pousser à acheter de nouveaux contenus. Ce sont les mêmes mécanismes que la mode mais appliqués à un monde habité principalement par des enfants».